jeudi 19 mars 2015

Les coupures et le suicide chez les inuits

Ai!
Tout d'abord dire que si j'ai osé penser (naïve que je suis) que le gouvernement Couillard ne couperait pas dans l'une des régions les plus pauvre du Québec, j'avais tord. On dirait que y'a toujours de l'argent à faire sur la misère. Le gouvernement ne renouvelle pas la prime de rétention sous prétexte que ça ne fonctionne pas. Il nous restera la prime d'éloignement et l'allocation nourriture seulement. Il n'a pas l'air de proposer d'autres façons de retenir le personnel au Nord par contre qui est une denrée rare. Il y a des négociations en cours mais la dernière fois il paraît que ça avait pris deux ans pour la ravoir de nouveau. Un programme de formation était également en cours pour former des community worker (les travailleuses et plus rares travailleur inuit) qui travaillent en partenariat avec les TS des communautés. Ce programme n'est également pas reconduit pour des raisons que je n'ai pas totalement compris. Pour avoir côtoyé des inuits qui étaient très motivés par ce programme, qui gagnaient en confiance en intervention et qui étaient si fiers de recevoir un diplôme à la fin de leur formation, je trouve personnellement que cette nouvelle est une grosse MARDE. J'essaie d'être politiquement correct la plupart du temps mais la non. Fuck you Couillard.

taux de suicide canadien
par tranche de 100 000 personne
Parlons suicide! Thématique triste s'il en est une, il faut néanmoins en parler car c'est une épidémie ici au Nord et le taux de suicide est l'un des plus élevés au monde. Je n'avais jamais abordé le thème en profondeur mais, dans le cadre de mon remplacement actuel, je rencontre beaucoup de gens hospitalisés suite à une tentative de suicide. Ce sont des jeunes surtout et, je ne vois pas ceux qui sont décédés évidemment. Les raisons pour avoir attenté à leurs vies sont multiples ; ruptures, maladies mentales, abus sexuels, abus de drogues, dispute avec un ou une amie, un membre de la famille, désespoir... Le suicide est fortement banalisé ici et on dirait que pour certaines personnes dès qu'une difficulté survient attenter à sa vie est la solution privilégiée. C'est plutôt selon moi un manque de facteurs de protection et un manque de mécanismes de 'coping'. Tout le monde ici connaît quelqu'un qui s'est suicidé et, pour ceux qui ne le savent pas, un suicide affecte directement au moins une dizaine de personne. Avec la petitesse de la population et le nombre élevé de suicide, ça risque de te fesser plusieurs fois dans ta vie si tu es inuk et d'ailleurs le taux de suicide chez les Inuits est de 11 fois supérieur à celui du reste de la population canadienne. Lorsque tu connais quelqu'un qui s'est suicidé, tu deviens également plus à risque d'utiliser cette option dans ta vie. Comme un jeu de domino, les gens sont si intimement reliés ici qu'il n'est pas rare d'en voir tomber plusieurs à quelques semaines, mois, années d'intervalles au sein d'une même communauté. Dans le village de Salluit, où j'ai fait deux fois des remplacements par exemple, l'hiver a été particulièrement difficile et il y a eu au moins 5 suicides en 2 mois dans un village d'environ 1300 personnes.
oeuvre d'Annie Pootoogook

Mon premier séjour au Nord s'était d'ailleurs terminé par le suicide d'un homme (à Salluit) avec qui j'avais intervenu. Sans surprises, ce sont les hommes qui meurent plus souvent mais d'abord selon moi (et les études) parce qu'ils utilisent des moyens plus mortels que les femmes qui préfèrent l'abus de médicaments. Les médecins en sont rendus à essayer d'effrayer les patients avec les conséquences de l'abus de médicaments du type tylenol à long terme sur leur foie tellement certains et certaines font des tentatives répétées. L'absence de projet de vie se transforme souvent en projet de mort ici.  Il m'arrive souvent de laisser partir des jeunes suicidaires de l'hôpital en disant au docteur que je crois qu'il y ait de fortes chances qu'ils reviennent, morts ou vivants selon leur volonté de la prochaine tentative de suicide. J'ai l'air d'en parler froidement mais non, c'est juste que j'ai fermement intégré la notion que ; chaque personne est ultimement responsable de sa propre vie.

Ce n'est pas aider les gens que de les surprotéger, de faire les choses à leur place et de leur donner des solutions qui ne viennent pas d'eux-mêmes. En faisant cela, les intervenants ne cherchent qu'a apaiser leur propre peur. C'est une réaction normale car nul ne veut se sentir minimalement responsable de la mort de quelqu'un et qu'on a souvent le complexe du 'sauveur'.  Je crois qu'ici comme ailleurs les gens ont le choix mais, je crois aussi que si j'étais née inuk, cette option en serait une intéressante pour moi comme pour les autres. Je me dis parfois que si j'étais inuk, je serais probablement souvent saoule, droguée et suicidaire. Il m'appert donc important de ne pas juger quelqu'un qui veut mourir mais plutôt de chercher ce qui fait que cette personne est toujours en vie et chercher avec elle des moyens pour qu'elle le reste encore mais, à la fin c'est elle qui choisit, c'est elle qui se coupe les veines, appuie sur la détente, avale les pilules ou va se perdre dans la toundra.  Pour aviver ou carrément rallumer un feu, une envie de vivre il faut une étincelle, des braises à la base et malheureusement parfois elle n'est même pas là. Ce n'est pas facile d'allumer du feu avec du bois mouillé.

Si on se remet dans le contexte historique, selon ce que j'ai lu avant la colonisation et la sédentarisation forcée, les taux de suicide étaient extrêmement bas et étaient souvent commis par des aînés en perte d'autonomie importante et des gens malades. Le suicide avait alors une autre signification, c'était davantage l'aspect 'Je ne suis plus utile pour ma communauté, je suis un fardeau donc aussi bien m'en aller'. En ce moment, je vois surtout des jeunes en pleine santé qui ne veulent juste pas continuer et qui, à la moindre crise ou difficulté veulent 'tirer la plug'. Les inuits traditionnellement étaient toujours en mode survie donc ils ne planifiaient pas pour le futur et ne faisaient pas de plans tant que ça comme tel. C'est donc difficile de raccrocher des gens à un projet quelconque car, encore aujourd'hui, rares sont ceux qui se soucient de l'avenir.

initiative Nunavut, 2013
Lorsque je rencontre quelqu'un et que je cherche avec la personne ce qu'elle pourrait faire la prochaine fois qu'elle ne va pas bien et que je regarde avec elle différentes options, je suggère souvent des choses qui ont été énoncées dans cette étude faite en partenariat avec les aînés du Nunavik et qui sont reconnues comme bénéfiques pour la santé mentale comme de se confier à quelqu'un, de ne pas s'isoler, de se changer les idées, faire de l'exercice, etc. Ces habiletés et connaissances ont donc été présentes dans la culture anciennement mais se sont perdues (?) suite à la colonisation, suite aux pensionnats et suite à la perte de valeurs traditionnelles.
http://www.naho.ca/documents/it/2006_Suicide_Prevention-Elders.pdf

Il est quand même assez paradoxal et triste qu'un des peuple les plus résistant de la terre qui a survécu dans des conditions aussi extrêmes pendant plusieurs années soit actuellement l'un des endroits au monde ou la mort est le plus souvent choisie de façon volontaire. Le Nunavik n'est plus 'la terre où vivre'. Heureusement, des gens se mobilisent et des programmes de prévention existent. Par exemple, à Salluit suite à la vague de suicide un travailleur social local a pris le téléphone et a appelé le 'regional health board' et a demandé d'avoir des éducateurs pour donner un training appelé 'Nunavik Applied suicide intervention skills' 'ASIST'. Cela a permis de former 44 personnes de la communauté à identifier les personnes à risques, à intervenir et simplement de démystifier que c'est correct d'en parler.  http://www.nunatsiaqonline.ca/stories/article/65674salluit_turns_to_asist_following_cluster_of_suicides_late_last_year/
Il y a de la lumière dans la noirceur et comme disent les aînés ;
'Inuit never gave up. Inuit always had hope.'
Atsunai!

2 commentaires:

  1. Chére fille
    Pendant le repas, on réalise que tu as fait un nouveau papier...ahhh papier..
    Ton papa propose de me le lire pendant que je termine. Évidemment, je dirais d'entrée de jeu que c'est pas réjouissant toute cette réalité de suicide mais c'est tellement bien de rappeler que cette réalité existe encore tellement aujourd'hui. Ton papa s'exclame "elle écrit bien, cette petite" Il observe que tu es un peu impolie avec le bon Dr Couillard mais bon. Est-il vraiment en désaccord? Il note plusieurs déclarations punch à savoir que "chaque personne est ultimement responsable de sa propre vie" existentialiste, la fille, "l'absence de projet de vie se transforme souvent en projet de mort ici"...très percutant...."Pour aviver et carrément rallumer un feu, une envie de vivre, il faut une étincelle....et parfois, elle n'est même pas là. Ce n'est pas facile d'allumer du feu. avec du bois mouillé....." et que dire de cette conclusion sans appel ..."le Nunavik n'est plus une terre où vivre" Chère fille, en fait, tes deux parents veulent te dire qu'ils sont impressionnés de ce billet .C'est bien de faire connaitre cette réalité dure et malheureusement, il faut répéter. On est avec toi dans notre coeur XX

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  2. merci merci mais j'ai pas tant de mérite... mon premier emploi était en prévention du suicide, j'ai quasiment fait ma maîtrise sur le thème rappelons-nous et je dois avoir des gènes de journaliste ;) xx

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