mardi 19 janvier 2016

Que sera, sera

Ai!
C'était ma dernière semaine au Nord. Je ne vais pas m'aventurer à dire que ce sera la dernière de ma vie car l'expérience a prouvé que les choses ne sont jamais aussi simples. C'est comme une relation, même si on décide d'arrêter de voir et de parler à une personne qu'on aime, ça ne veut pas dire qu'on ne pense pas à la personne et qu'elle ne nous manque pas...  Le Nord est territoire de beauté mais aussi de laideur. Les extrêmes s'affrontent sans trop de nuances...Le Nord est déchirements, éloignement, solitude, noirceur, détresse mais il est aussi retrouvailles, immensité, intimité, présence, lumière, rires et joies. L'intensité est partout ici, dans la nature comme chez les êtres humains et c'est une partie du charme et du drame.

Parlant d'intensité, j'ai pu assister au party de départ de retraite de ma boss et à son départ à l'aéroport. Ça sonnera cliché mais, dans la vie on rencontre des gens d'exception et elle en est une. Je suis très choyée d'avoir pu travailler et connaître un peu cette grande dame qui aura passé une grande partie de sa vie au Nord. Je lui serai toujours reconnaissante de m'avoir engagé et d'avoir été la en personne ou au bout du fil lors d'interventions difficiles ou de questionnements. Elle aura su à sa manière orienter ma réflexion et celle de bien d'autres sur la présence des blancs ici.  Ses derniers mots à mon endroit avant de monter dans l'avion ont été ; 'Reviens au Nord'.  J'ai beaucoup pleuré à son party et à son départ... On a d'ailleurs eu la bonne idée de prendre une photo ou je suis vraiment à mon meilleur *sarcasme* mais c'est un bon souvenir...

Je retourne au sud. Ça n'a pas été exactement facile d'y retourner officiellement la dernière fois pour un tas de raisons. Je n'avais jamais pensé que ça serait aussi difficile, moi qui a normalement une bonne capacité d'adaptation. Je pense qu'il faut l'avoir vécu pour le comprendre.

J'ai eu envie de faire une petite liste de ce que j'ai trouvé difficile la dernière fois...
J'ai d'ailleurs changé d'emploi et de ville depuis mon retour officiel.
Voici donc les choses auxquelles je n'étais plus habituée à mon retour au travail dans le monde des blancs, dans mon monde.
Les 'crises' du sud ne sont pas celles du Nord...
Les avis ébullition qui font les gros titres des journaux me font suer.
Ai-je besoin de vous rappeler qu'au Nord parfois il n'y a même pas d'eau si les camions d'eau ont des problèmes ou qu'il y blizzard? Parfois, on demande à son voisin d'aller se laver chez lui, on va se laver au bureau (je l'ai fait à Umiujaq, aha) ou l'hiver on fait fondre de la neige pour avoir de l'eau pour laver sa vaisselle lorsqu'il n'y en a plus...
On fait bouillir l'eau, on l'économise et ici les gens lavent leur asphalte l'été.
- L'organisation du sud... des papiers encore des papiers
Les gens qui se plaignent la bouche pleine...Les gens qui en ont trop ont aussi trop de temps pour s'attarder à ce qui leur manque et se regarder le nombril.
- Le peu de vacances ; un mois de vacances par année ou moins devrait te rendre heureux, euh non?  Je suis une paresseuse et je m'assume.
- Le trafic matinal
Essayer de m'habiller mieux... je ne dis pas que les gens s'habillent mal au Nord (en fait oui mais pas tous)... je dis juste que ça a beaucoup moins d'importance comment tu es habillée et que le style 'sportif/nature/hippy' passe sans problèmes...
Les gens et le bruit... étais-je rendue sauvage ou le Nord avait juste renforcé une tendance naturelle? Le premier jour, j'étais 'overwhelmed' comme on dit en anglais. Nous, les blancs parlons tellement de tout et de rien. Nous parlons parfois pour ne rien dire. On ne se contente pas d'être'. Il faut paraître, parler, montrer qu'on est intelligent (même si ce n'est pas le cas) et qu'on a quelque chose à dire ou qu'on a fait quelque chose d'important de sa fin de semaine et de sa vie.
Aussi, c'est tellement important de bien manger au sud aussi que ça en devient ridicule (je m'inclus la dedans à l'occasion).  À la fin savez-vous qu'on va tous mourir peu importe qu'on mange du gluten ou qu'on boive du lait? Est-ce qu'on peut parler d'autre chose? Est-ce que vous pouvez arrêter de prendre des photos de votre bouffe? Une salade de quinoa, personne va me faire avaler qu'il tripe vraiment à manger ça.

Par ailleurs, l'article qui a suscité le plus de réactions d'internautes sur mon blog est celui où je parle de la chasse aux ours polaires.
Pas les articles ou je parle des femmes tuées et disparues.
Pas l'article ou je parle du suicide épidémique du Nord.
Je comprends et je conçois que c'est choquant un bel ours blanc mort, surtout que c'est une espèce en voie de disparition.
Cependant, ce n'est selon moi pas plus choquant que l'ignorance des Québécois sur les autochtones et inuits. C'est dommage que les inuits ne soient pas aussi cutes qu'un ours polaire sur la banquise.
Peut-être que si c'était le cas, les gens seraient moins caves.

Atsunai!





samedi 9 janvier 2016

Le retour et l'éducation

Ai!
Me voici revenue dans le royaume du froid pour un petit séjour de deux semaines. Merci la vie et ma boss qui m'a offert de revenir pour une petite saucette à Puvirnituq. (Coudonc, lis tu mon blog pour savoir que ça me manquait?)  Ça ne m'a pas pris 10 minutes après avoir déposé mon sac pour m'en aller marcher dans la toundra gelée qui m'avait manqué. Elle est magnifique en hiver. C'est thérapeutique vous savez, ce calme, cette infinité et ce silence. Si je meurt, j'aimerais qu'on répande mes cendres dans la toundra gelée si elle existe encore, prenez en note.



J'ai rencontré un autre animal nordique. Je l'ai montré à mes collègues inuits. Elles m'ont dit qu'elles n'avaient jamais vu ça. Il s'agit de la musaraigne nordique que j'ai rencontré dans la maison. Qui aurait cru, que de si petits animaux pouvaient survivre dans un tel froid? Elles sont très rapides, j'essaie de l'attraper pour la montrer mais à date mes efforts sont vain...




En montant, j'étais dans un avion de professeurs et je lisais 'Pédagogie des opprimés' de Paolo Freire. Pour ceux qui ne le connaissent pas, c'est un homme qui a beaucoup réfléchi sur l'importance de l'éducation chez les opprimés comme un moyen de libération et les rapports entre opprimés et oppresseurs. 

J'ai aussi eu une discussion intéressante avec un professeur originaire de Shippagan au Nouveau Brunswick. Il est la depuis 6 ans à Akulivik (un des pire village sinon le pire selon moi) et il me disait qu'il trouvait que ça empirait, que la consommation d'alcool notamment empirait, qu'un effet domino se produisait donc sur l'aggravation des problèmes sociaux et sur les élèves. Je lui ai demandé pourquoi il continuait d'enseigner.  Il m'a répondu que s'il n'avait qu'un élève d'intéressé, déjà ça valait le coup et qu'il aimait le peuple inuit et la vie au Nord.  Il était âgé, avait largement dépassé l'âge de sa retraite et n'avait pas besoin d'argent. Je suis sure qu'il se fait payer pareil mais en même temps je suis sure également qu'il n'est pas au Nord pour ça. Il avait également l'hypothèse que ça finirait par aller mieux après avoir été si mal, que tout système ou société en changement finit par se stabiliser avec le temps et revenir à un état relatif d'équilibre. Il était également critique du cursus scolaire proposé par la commission scolaire Kativik à ses élèves. L'ensemble du système éducatif au Nunavik bat de l'aile comme bien d'autres choses...

Au Nunavik, les trois premières années scolaires se font en inuktitut et ensuite c'est soit l'anglais ou le français au choix des parents. Les inuits doivent passer leurs examens dans la langue seconde choisie. Je rappelle également qu'il n'y a pas de Cégep pour les Inuits dans tout le Nunavik...Pourquoi il n'y a pas plus d'argent, de temps, de ressources investies dans les jeunes au Nunavik, dans la DPJ, les CPE comme dans le système d'éducation?  Il y a des projets, des initiatives mais il me semble que ça bouge trop lentement. Ils sont légion les enfants ici, vous savez et 85% d'entre eux n'obtiennent pas leur diplôme d'étude secondaires.  Pourquoi on investit pas davantage sur eux? Pourquoi on ne trouve pas de meilleures façons de leur enseigner inuit way? Je me doute que d'être assis dans une classe n'est pas la meilleure façon pour eux d'apprendre... Les problèmes sociaux font qu'ils ont de la misère en classe mais aussi parfois que c'est un refuge pour eux donc une fenêtre d'opportunité. Pourquoi on ne révise pas le calendrier scolaire pour répondre aux périodes de chasse? Je rêverais de revenir au Nunavik dans 30 ans et que le nombre de médecins, de policiers, d'infirmiers, de professeurs et de travailleurs sociaux Inuit ait explosé. Je sais que c'est un peu naïf mais l'utopie d'aujourd'hui est la réalité de demain.
Atsunai!