jeudi 26 mars 2015

Fin, festival des neiges et nez rouge


Ai!
Je prends l'avion demain pour retrouver Montréal. Cette semaine était la semaine du Snow Fest. Voici quelques images prises par moi mais surtout ma collègue Sonia. Ma caméra n'aime pas le froid intense et se ferme malheureusement. C'est un beau festival qui revient chaque deux ans et qui rassemble les gens des 14 communautés du Nunavik et même des gens du Nunavut venus chanter, danser, s'amuser et participer à différents concours qui visent à mettre en valeur les éléments de la culture inuit traditionnelle. Les concours sont divers ; fabrication d'igloos, d'outils, chants de gorge, sculpture sur glace, course de traîneaux à chiens, ect. C'est un beau rendez-vous festif et important!
J'ai fait Nez rouge bénévolement également avec mon amie Christina. Je l'avais fait la première année mais c'est désormais un peu mieux organisé. Le Nez rouge version inuit est avec un walkie talkie et l'aide de la radio locale. Les gens appellent à la radio pour dire qu'ils ont besoin d'un lift à telle maison et nous écoutons la radio et arrivons. Il y a également une personne avec un walkie talkie qui reçoit des appels chez elle et qui nous transmet les numéros de maison. Une de nos stratégies personnelles était également de crier NEZ ROUGE comme des folles à l'extérieur du gym lorsque nous passions devant pour signifier notre présence. On se rappelle qu'il n'y a pas de taxi dans la communauté donc on sert aussi un peu à ça. Imaginez-vous qu'on a trouvé un homme qui était manifestement saoul mort et qui avait eu la bonne idée de s'étendre dans la neige...?! Voici un article sur l’événement de Noël pour ceux que ça intéresse; http://www.nunatsiaqonline.ca/stories/article/65674nunavik_community_offers_holiday_taxi_service/
Bref, c'était un peu fatiguant mais on a eu du fun et les gens étaient reconnaissants. Maintenant, vacances!
Atsunai!

jeudi 19 mars 2015

Les coupures et le suicide chez les inuits

Ai!
Tout d'abord dire que si j'ai osé penser (naïve que je suis) que le gouvernement Couillard ne couperait pas dans l'une des régions les plus pauvre du Québec, j'avais tord. On dirait que y'a toujours de l'argent à faire sur la misère. Le gouvernement ne renouvelle pas la prime de rétention sous prétexte que ça ne fonctionne pas. Il nous restera la prime d'éloignement et l'allocation nourriture seulement. Il n'a pas l'air de proposer d'autres façons de retenir le personnel au Nord par contre qui est une denrée rare. Il y a des négociations en cours mais la dernière fois il paraît que ça avait pris deux ans pour la ravoir de nouveau. Un programme de formation était également en cours pour former des community worker (les travailleuses et plus rares travailleur inuit) qui travaillent en partenariat avec les TS des communautés. Ce programme n'est également pas reconduit pour des raisons que je n'ai pas totalement compris. Pour avoir côtoyé des inuits qui étaient très motivés par ce programme, qui gagnaient en confiance en intervention et qui étaient si fiers de recevoir un diplôme à la fin de leur formation, je trouve personnellement que cette nouvelle est une grosse MARDE. J'essaie d'être politiquement correct la plupart du temps mais la non. Fuck you Couillard.

taux de suicide canadien
par tranche de 100 000 personne
Parlons suicide! Thématique triste s'il en est une, il faut néanmoins en parler car c'est une épidémie ici au Nord et le taux de suicide est l'un des plus élevés au monde. Je n'avais jamais abordé le thème en profondeur mais, dans le cadre de mon remplacement actuel, je rencontre beaucoup de gens hospitalisés suite à une tentative de suicide. Ce sont des jeunes surtout et, je ne vois pas ceux qui sont décédés évidemment. Les raisons pour avoir attenté à leurs vies sont multiples ; ruptures, maladies mentales, abus sexuels, abus de drogues, dispute avec un ou une amie, un membre de la famille, désespoir... Le suicide est fortement banalisé ici et on dirait que pour certaines personnes dès qu'une difficulté survient attenter à sa vie est la solution privilégiée. C'est plutôt selon moi un manque de facteurs de protection et un manque de mécanismes de 'coping'. Tout le monde ici connaît quelqu'un qui s'est suicidé et, pour ceux qui ne le savent pas, un suicide affecte directement au moins une dizaine de personne. Avec la petitesse de la population et le nombre élevé de suicide, ça risque de te fesser plusieurs fois dans ta vie si tu es inuk et d'ailleurs le taux de suicide chez les Inuits est de 11 fois supérieur à celui du reste de la population canadienne. Lorsque tu connais quelqu'un qui s'est suicidé, tu deviens également plus à risque d'utiliser cette option dans ta vie. Comme un jeu de domino, les gens sont si intimement reliés ici qu'il n'est pas rare d'en voir tomber plusieurs à quelques semaines, mois, années d'intervalles au sein d'une même communauté. Dans le village de Salluit, où j'ai fait deux fois des remplacements par exemple, l'hiver a été particulièrement difficile et il y a eu au moins 5 suicides en 2 mois dans un village d'environ 1300 personnes.
oeuvre d'Annie Pootoogook

Mon premier séjour au Nord s'était d'ailleurs terminé par le suicide d'un homme (à Salluit) avec qui j'avais intervenu. Sans surprises, ce sont les hommes qui meurent plus souvent mais d'abord selon moi (et les études) parce qu'ils utilisent des moyens plus mortels que les femmes qui préfèrent l'abus de médicaments. Les médecins en sont rendus à essayer d'effrayer les patients avec les conséquences de l'abus de médicaments du type tylenol à long terme sur leur foie tellement certains et certaines font des tentatives répétées. L'absence de projet de vie se transforme souvent en projet de mort ici.  Il m'arrive souvent de laisser partir des jeunes suicidaires de l'hôpital en disant au docteur que je crois qu'il y ait de fortes chances qu'ils reviennent, morts ou vivants selon leur volonté de la prochaine tentative de suicide. J'ai l'air d'en parler froidement mais non, c'est juste que j'ai fermement intégré la notion que ; chaque personne est ultimement responsable de sa propre vie.

Ce n'est pas aider les gens que de les surprotéger, de faire les choses à leur place et de leur donner des solutions qui ne viennent pas d'eux-mêmes. En faisant cela, les intervenants ne cherchent qu'a apaiser leur propre peur. C'est une réaction normale car nul ne veut se sentir minimalement responsable de la mort de quelqu'un et qu'on a souvent le complexe du 'sauveur'.  Je crois qu'ici comme ailleurs les gens ont le choix mais, je crois aussi que si j'étais née inuk, cette option en serait une intéressante pour moi comme pour les autres. Je me dis parfois que si j'étais inuk, je serais probablement souvent saoule, droguée et suicidaire. Il m'appert donc important de ne pas juger quelqu'un qui veut mourir mais plutôt de chercher ce qui fait que cette personne est toujours en vie et chercher avec elle des moyens pour qu'elle le reste encore mais, à la fin c'est elle qui choisit, c'est elle qui se coupe les veines, appuie sur la détente, avale les pilules ou va se perdre dans la toundra.  Pour aviver ou carrément rallumer un feu, une envie de vivre il faut une étincelle, des braises à la base et malheureusement parfois elle n'est même pas là. Ce n'est pas facile d'allumer du feu avec du bois mouillé.

Si on se remet dans le contexte historique, selon ce que j'ai lu avant la colonisation et la sédentarisation forcée, les taux de suicide étaient extrêmement bas et étaient souvent commis par des aînés en perte d'autonomie importante et des gens malades. Le suicide avait alors une autre signification, c'était davantage l'aspect 'Je ne suis plus utile pour ma communauté, je suis un fardeau donc aussi bien m'en aller'. En ce moment, je vois surtout des jeunes en pleine santé qui ne veulent juste pas continuer et qui, à la moindre crise ou difficulté veulent 'tirer la plug'. Les inuits traditionnellement étaient toujours en mode survie donc ils ne planifiaient pas pour le futur et ne faisaient pas de plans tant que ça comme tel. C'est donc difficile de raccrocher des gens à un projet quelconque car, encore aujourd'hui, rares sont ceux qui se soucient de l'avenir.

initiative Nunavut, 2013
Lorsque je rencontre quelqu'un et que je cherche avec la personne ce qu'elle pourrait faire la prochaine fois qu'elle ne va pas bien et que je regarde avec elle différentes options, je suggère souvent des choses qui ont été énoncées dans cette étude faite en partenariat avec les aînés du Nunavik et qui sont reconnues comme bénéfiques pour la santé mentale comme de se confier à quelqu'un, de ne pas s'isoler, de se changer les idées, faire de l'exercice, etc. Ces habiletés et connaissances ont donc été présentes dans la culture anciennement mais se sont perdues (?) suite à la colonisation, suite aux pensionnats et suite à la perte de valeurs traditionnelles.
http://www.naho.ca/documents/it/2006_Suicide_Prevention-Elders.pdf

Il est quand même assez paradoxal et triste qu'un des peuple les plus résistant de la terre qui a survécu dans des conditions aussi extrêmes pendant plusieurs années soit actuellement l'un des endroits au monde ou la mort est le plus souvent choisie de façon volontaire. Le Nunavik n'est plus 'la terre où vivre'. Heureusement, des gens se mobilisent et des programmes de prévention existent. Par exemple, à Salluit suite à la vague de suicide un travailleur social local a pris le téléphone et a appelé le 'regional health board' et a demandé d'avoir des éducateurs pour donner un training appelé 'Nunavik Applied suicide intervention skills' 'ASIST'. Cela a permis de former 44 personnes de la communauté à identifier les personnes à risques, à intervenir et simplement de démystifier que c'est correct d'en parler.  http://www.nunatsiaqonline.ca/stories/article/65674salluit_turns_to_asist_following_cluster_of_suicides_late_last_year/
Il y a de la lumière dans la noirceur et comme disent les aînés ;
'Inuit never gave up. Inuit always had hope.'
Atsunai!

mercredi 4 mars 2015

Les droits et surtout leur non respect...

Ai!
Je suis de retour à Puvirnituq depuis environ trois semaines. Je suis déjà au milieu de mon remplacement, ça va vite!  Je n'y avais pas travaillé depuis à peu près un an. Je ne sais pas si je l'ai déjà dit mais ce n'est pas mon village préféré. C'est juste que parfois je m'attends à plus vu que c'est ici que se trouve le centre hospitalier mais tu arrives et il n'y a aucun Taamani pour internet au bureau de la municipalité (notez que je n'ai vu ça dans aucun autre village ) après ça pendant la fin de semaine dès samedi le sewage (eaux usées) est plein et tu te dis...à Puvi, rien ne change car j'avais eu le même problème l'an dernier. On a eu des problèmes de téléphone au bureau et c'est un problème récurrent ici. Aussi, à mon arrivée contrairement aux autres villages j'ai du trouver par moi-même le conducteur du centre de santé et heureusement que je savais ou j'allais rester ... et ce n'était finalement pas le bon transit! Une de mes collègues devait déménager et elle est arrivée dans une maison ou vivait déjà quelqu'un... Bref, c'est pas vraiment impressionnant même si c'est ici ou il y a le centre administratif et le plus d'étrangers. J'ai vécu un espèce de choc aussi en participant à une rencontre sur les dossiers. Moi qui est habituée de me promener dans les villages et d'être en contact majoritairement avec des inuits, j'étais entourée de blancs parlant de la bonne tenue de dossier et de comment l'améliorer et je me suis dis encore une fois que les inuits ne me semblent souvent n'être que des ombres dans leur système de santé calqué sur le modèle du sud...et qu'a ce rythme la il y aura encore des blancs ici pendant très longtemps...

Saviez-vous que parfois des blancs font leur jogging aux alentours du village. Je ne savais pas mais on m'a dit que ça faisait parfois grincer des dents la population. Il faut savoir qu'il y a des gens qui ont souvent faim au Nord et que de voir un blanc bien nourrit qui court aux alentours du village lance un peu le message ; 'Hey, j'ai besoin de dépenser les nombreuses calories que je peux me permettre de manger vu que j'fais de l'argent sur votre dos'. 

Je remplace actuellement la travailleuse sociale de *liaison*. C'est à dire que je suis la pour les gens hospitalisés qui viennent d'autres villages. J'avais envie de vous parler des droits parce que je trouve parfois que la défense des droits est occultée et, ici autant qu'ailleurs, elle devrait prendre de l'importance car il arrive par exemple que dans le contexte médical, les droits les plus élémentaires comme le consentement aux soins soit totalement bafoué. Saviez-vous que vous avez le droit de refuser des soins jusqu'à ce que vous représentiez un danger pour vous ou pour les autres. Il y a une loi au Québec qui s’appelle la P-38. Cette loi d'exception dit en gros que si tu représentes un danger grave et imminent contre toi-même et contre autrui, on peut t'hospitaliser, te mettre en garde préventive contre ton gré pour un maximum de 72 heures. Or, il arrive au Nord que la notion de danger est surestimée ou mal évaluée et les gens sur-utilisent cette option alors qu'elle ne devrait même pas être envisagée. On agit alors de façon paternaliste et on hospitalise quelqu'un contre son gré alors que la loi ne nous le permet pas. Il n'y a souvent malheureusement pas de conséquences à ces actions qui sont rares je vous rassure parce qu'on a voulu faire 'pour le bien' et que dans les 'petits villages c'est difficile à gérer' donc aussi bien faire venir l'avion et les faire hospitaliser. Il n'en demeure pas moins que ce n'est pas une pratique légale et qu'humainement, elle est plus que discutable.

utopie?
Les inuits qui sont des gens rarement éduqués ne protestent pas plus qu'il faut car ils ne sont pas informés sur leurs droits. Une population ignorante a du bon, elle est plus facile à contrôler. C'est cynique mais, c'est ça pareil. Donc, oui parfois il importe de dire à une personne que le traitement qu'elle a reçu n'était pas approprié et oui, je vais l'informer de ses droits de porter plainte contre une infirmière, contre le centre hospitalier s'il le faut et non, je ne vais pas me sentir mal car je suis d'abord une travailleuse sociale et une des valeurs de ma profession est justement la défense des droits des personnes Voila, c'est dit.

Dans un autre ordre d'idée, saviez-vous que nous avons deux refuges pour femmes battues sur notre côte (pour 7 villages) et les deux sont inutilisables en ce moment. Donc, il n'y a pas de refuge pour les femmes pour les gens de la côte de la baie d'Hudson. Nous pourrons envoyer les femmes à Kuujjuaq mais seulement en cas d'extrême nécessité. C'est la joie pour les travailleurs sociaux *sarcasme*.  Souhaitons que cette situation sera temporaire. J'ai vu une femme à la COOP avec un œil au beurre noir gigantesque. Elle faisait ses emplettes comme si de rien n'était et je sais qu'elle a porté plainte contre son conjoint. J'en avais aussi vu au sud des femmes avec des marques comme ça mais, elles étaient à l'abri, dans les refuges ou j'ai travaillé. Celle ci a porté plainte mais pour les autres qui ne portent pas plainte et qui restent avec celui qui les violente, il y a une option de moins actuellement. La violence entre partenaires va toujours en augmentant et finit parfois par la mort de la femme...Les droits de la personne incluent le droit à la sûreté. Ici, les droits de la personne sont bafoués de différentes manières. Ce n'est pas pour rien qu'Amnistie Internationale blâme le Canada pour la violation systématique des droits des peuples autochtones. Ça s'illustre par plusieurs exemples.

Parlons festivités et thématique moins lourde! Ce sera le festival des neiges bientôt à Puvirnituq, évènement culturel et social de grande importance... à suivre!
Atsunai!