mardi 22 avril 2014

Le paradoxe de notre présence

Ai
Je m'envolerai bientôt vers le sud où il paraît que le printemps est finalement arrivé. Je ne sais pas combien de temps j'y resterai et si je reviendrai à Inukjuak après ou pas. C'est à suivre... Mon blog se meurt un peu, vous l'aurez remarqué. J'écris de moins en moins et il se peut que ce soit mon dernier message... ou pas! Avant de repartir au sud, j'aimerais dire aux gens qui me lisent et qui pensent parfois à aller travailler au Nord ceci.

Je n'en ai pas parlé souvent mais je ne pense pas que tout le monde puisse travailler ici. Il y a des gens qui viennent au Nord et qui repartent une semaine, un mois après. On dit que soit tu aimes ça, soit tu détestes. Les Qallunaat qui travaillent ici ont énormément de temps libre, parce qu'ils sont loin de leurs proches, loin de tout ce qui constitue «la vie normale du sud». Si vous avez un problème avec la solitude, ne venez pas ici. On ne peut pas aller au cinéma, aller manger au restaurant ou aller chez le coiffeur. On ne peut pas aller faire l'épicerie un dimanche ni en soirée, rien n'est ouvert et on ne trouve pas la moitié de la diversité de nourriture qu'on retrouve en bas, c'est pas toujours frais (une fois par semaine) à des prix qui sont souvent le double de ce que vous payez d'habitude. Ma dernière folle dépense ; 4 petites batteries tout à fait normales pour 13$.


Vous étiez supposé partir telle date pour assister à votre propre party de fête mais il ne fait pas beau et les avions ne décollent pas pendant 4 jours? C'est aussi ça travailler au Nord et c'est une histoire vécue. Vous êtes sur la route pour Montréal mais l'avion reste pris dans un village ou vous ne connaissez personne et vous devez vous débrouillez pour trouver un endroit ou rester? True story aussi. Vous ne parlez français qu'avec certains collègues et vous êtes une minorité ethnique.  En décembre, il fait noir à partir de trois heures et en été il fait très clair jusqu'à onze heure et le soleil se relève vers 3-4 heures du matin. Vous vous ferez fort probablement insulter un jour et on vous dira que vous n'êtes la que pour l'argent. Il y a des chances que vous vous fassiez agresser par un inuit parfois sans aucune raison valable. Il y a des chances que la personne à qui vous venez de parler se suicide ensuite. On vous volera peut-être quelque chose (mes souliers la semaine passée). Il faudra faire attention à votre utilisation d'eau et récemment une collègue d'un autre village m'a avoué qu'elle avait du faire ses besoins dans un sac pour les jeter dehors ensuite à cause du manque d'eau depuis plusieurs semaines (tout les camions de sewage de la communauté avaient rendu l'âme). Comme je vous disais, ce n'est pas pour tout le monde.

Je ne veux pas décourager personne, je veux juste que les gens qui y pensent aient une opinion réaliste et parce que je ne dis pas toujours le négatif et que je préfère écrire sur le positif. Dans certains domaines d'emploi, vous serez aussi moins exposés qu'une travailleuse sociale, j'imagine.

J'ai un beau titre non? Il y a longtemps que je veux aborder ce thème...

Je suis une blanche née au sud et éduquée dans les valeurs du «sud». Je ne suis pas née dans cette culture et pourtant j'y travaille à titre de travailleuse sociale en plus. Donc, que je le veuille ou non je suis porteuse d'une identité, d'une culture et d'une histoire.  Un jour une femme blanche travailleuse sociale très avisée qui travaille ici depuis bientôt 20 ans m'a dit ; «N'oublie jamais que tu représente encore d'une certaine façon un agent de colonisation». Sans l'avoir voulu ou compris en premier lieu, je m'inscris dans un système qui n'est pas adapté aux valeurs des inuits, un système de «Qallunak». Je représente un symbole d'aide mais aussi le symbole de ceux qui ont contribué aux problèmes et à l'assimilation des premières nations et des inuits. Les docteurs ne sont pas des inuits, les infirmières ne le sont pas aussi et tout les professionnels également. Je pense qu'il a y a une infirmière inuit dans tout le Nunavik.

Historiquement, l'intervention sociale avec les autochtones fut marquée par le colonialisme parce que oui les intervenants venaient ici avec une vision que les valeurs et la culture occidentale était meilleure pour les communautés dans lesquelles ils travaillaient. La DPJ a pendant 20 ans donc de 1960 à 1980 placé ou fait adopté des enfants autochtones et inuits par des familles blanches... On a appelé ça les sixties'scoop et c'est venu après le régime des pensionnats... Bon timing, hein?  Aujourd'hui la DPJ s'efforce de mettre les enfants dans des familles issues de la même communauté... at least vaut mieux tard que jamais. Combien d'enfants adoptés ou placés ont ainsi perdu une grande partie de leur identité culturelle au profit de la culture dominante? La DPJ demeure très impopulaire ici comme ailleurs et il faut toujours bien que j'explique que je travaille pour les services sociaux et non pour la DPJ.

Les autochtones et les inuits avaient leurs propres façons de gérer les problèmes de la communauté avant que nous arrivions. Comme dans d'autres domaines, nous arrivons avec des façons de faire qui ne sont pas les leurs et après on s'étonne qu'elles ne fonctionnent pas ou peu. Idéalement, nous ne devrions pas être la parce que parfois vouloir aider quelqu'un c'est lui faire plus de mal que de bienUn de mes collègues inuit a eu cependant une réflexion intéressante en disant que, selon lui, son peuple aurait encore besoin de nous (intervenants d'ailleurs) encore longtemps mais qu'un jour il espérait et je l'espère aussi que nous ne seront plus nécessaires.

Certaines communautés se prennent en mains et depuis 2004 les Cris ont réorganisé les services de santé et de services sociaux pour qu'ils soient orientés à partir de savoirs, de la culture et de la conception traditionnelle crie de la santé.

Tout ça pour dire qu'il faut constamment être en repositionnement par rapport à l'intervention ici. La beauté du travail social c'est justement que nous sommes notre propre outil de travail. Alors je termine sur cette réflexion pertinente d'une militante aborigène d’Australie qui fait du sens.
« If you have come to help me you are wasting your time.  But if you have come because your liberation is bound up in mine, then let us work together. » 
Lila Watson, 1988
Atsunai!

Oh et en passant... un film s'amène sur nos écrans tourné au Nunavut ...


mercredi 9 avril 2014

Les élections et les inuits

Ai!
Quelqu'un m'a posé la question récemment est-ce que les inuits s'intéressent aux élections provinciales? La réponse va de soi je crois mais, pour ceux qui ne le savent pas, j'ai l'impression que les inuits s'en crissent (scusez-la) comme on se crisse (scusez-la, bis) d'eux dans les campagnes électorales, dans la politique en générale et dans le Québec de façon plus globale. Avez-vous entendu beaucoup parler les partis politiques des autochtones ou des inuits? Non, donc c'est donnant-donnant. Selon l'auteur de ce
texte http://www.alaskadispatch.com/article/20140402/vote-or-not-vote-aboriginal-people-northern-quebec-decide qui a plus suivi la campagne électorale que moi, il n'y a que le parti québécois et Québec solidaire qui ont abordé les enjeux des populations autochtones. J'aime bien quand l'auteur dit que la CAQ et le PLQ ne mentionnent même pas les autochtones dans leurs plateformes mais ont des plans de développement en tête pour leurs régions et at the end of the day, they might talk to the people living in the land... Espérons! 

Il n'y a pas de pancartes ici, pas de discussions sur les partis politiques et pas d'intérêt. Probablement que les partis politiques savent aussi que les populations inuits et autochtones ne votent pas beaucoup donc pas d'argent à faire ou de votes à gagner et c'est une roue qui tourne... Pourquoi se déplacer ici pour parler des enjeux d'une population minoritaire au Québec qui ne vote pas beaucoup et qui est souvent perçue négativement par le reste du Québec... C'est pas un choix politique gagnant, je le comprends mais il n'en demeure pas moins que les inuits et les autochtones ne vont pas cesser d'exister parce qu'on en parle pas, qu'ils ne vont pas s'effacer par magie, que les problèmes de ces communautés restent et que c'est une honte. Voilà, mon message est passé. En passant, on se souviendra que les inuits contrairement aux autochtones paient des impôts aussi et ils ne reçoivent pas la moitié des services que les gens du Sud reçoivent, cherchez l'erreur. 

Je voulais faire un bref retour sur mes jours de formation sur les abus sexuels sur les enfants. En gros, il s'agissait de deux journées de formations divisées en de la théorie l'avant-midi et du partage (sharing) en après-midi. Je faisais partie d'un groupe d'une quinzaine de personnes. Ma première journée fut éprouvante car les gens présents ont parlé des abus sexuels qu'ils avaient vécus, des gens avec qui je travaille se sont également ouvert et c'est toujours plus difficile quand ce sont des gens qu'on connaît et qu'on apprécie...

Presque tous avaient une histoire reliée à un abus sexuel. C'était dur émotionnellement d'entendre cette souffrance. Je n'ai pas parlé le premier jour me contentant de recevoir et d'écouter. Le deuxième jour j'ai parlé et ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas une grande fan de parler devant un groupe mais je jugeais important de le faire vu qu'aucun Quallunak (étranger) n'osait le faire et que le sharing qui est un exercice souvent pratiqué chez les inuits ne doit pas à mon sens n'être qu'unilatéral.  Mon message n'était pas très original mais il consistait à dire que bien que c'était et c'est toujours difficile pour moi en tant que travailleuse sociale d'entendre cette souffrance je suis reconnaissante de les avoir entendus et que ce n'est qu'en parlant que les choses vont changer, que je le vois souvent en intervention. Lorsqu'une personne s'ouvre sur ce qui la ronge, elle s'en trouve mieux après et le silence et les secrets sont à bannir pour améliorer les choses.
À lire ici


La question qui tue. Pourquoi tant d'abus? Je vous répondrai en vous racontant l'histoire d'un homme que j'ai connu, qui a été abusé dans un pensionnat par des religieux et qui a ensuite abusé ses enfants. Cependant, ceci n'excuse pas cela et on sait bien que les abusés ne deviennent pas tous des abuseurs mais c'est une partie de la réponse. On se souviendra quand même que la majorité des enfants inuits d'une certaine époque ont du aller dans ces écoles ou on cherchait à «tuer l'indien en eux» et ou ils ont vécu abus physiques et sexuels...Le tabou sur cette question est également très grand chez les inuits. Les inuits n'ont pas toujours fait dans la douceur non plus avec les rapports hommes-femmes et les rapports hommes-enfants. On m'a raconté qu'anciennement un homme pouvait ramener chez lui une femme sans son consentement en l'attrapant par son amauti (manteau traditionnel) et que personne n'y voyait de problème... Plusieurs études tendent également à montrer que le manque de logement et le surpeuplement de ceux disponibles ont un lien direct avec la violence physique et les abus sexuels vécus par les enfants... Comme dans tout problème social, il n'y a pas qu'une seule explication possible... Ceux qui veulent approfondir ce que j'ai effleuré c'est par ici ; http://www.fadg.ca/downloads/absexoffend.pdf
Atsunai!