mercredi 13 juillet 2016

Lectures nordiques

Ai!
Le Nord a passé proche de me ramener à lui il y a un mois mais j'ai décliné l'offre...
Forêt mousseuse du BC
J'ai pris des vacances pour moi et je suis allée me perdre dans les forêts magiques d'Haida Gwaii en Colombie Britannique à la place. Les Haidas sont par ailleurs un peuple très intéressant et très riche culturellement. Une jeune fille Haida dans un musée me racontait d'ailleurs qu'ils sont l'un des peuples autochtone les plus diplômés au Canada. Les jeunes Haidas reçoivent une magnifique cape brodée aux motifs de leur clan à leur diplomation et doivent danser avec cette cape. C'est une source de motivation pour plusieurs. La Colombie britannique compte pas moins de 200 différentes premières nations et au moins une trentaine de langues qui sont pour la plupart malheureusement en danger...
Je continue tout de même de visiter le Nord dans mes lectures ces temps-ci...

Le très beau roman de Juliana Léveillé-Trudel 'Nirliit' que je vous conseille. 
On m'avait justement demandé lorsque je parlais de mon amour de la toundra ; 'Tu dois retrouver le sentiment que tu as dans la toundra quand tu vois de magnifiques paysages en voyage, non? 
J'avais répondu ; 'Non c'est pas pareil, je ne sais pas comment l'expliquer'
Voilà l'explication est là ; 

'Une beauté en forme de coup de poing dans le ventre, il y a juste la toundra qui fait ça, paysage complètement démesuré et bouleversant tout seul au bout du monde avec si peu de gens pour l’admirer.'

Un autre passage
Le Nord est dur pour le coeur. Le Nord est un enfant balotté d'une famille d'accueil à l'autre, le Nord ne veut pas être rejeté de nouveau, le Nord te fait la vie impossible jusqu'à ce que ton coeur n'en puisse plus et que tu le quittes avant d'exploser, et il pourra te dire voilà : je le savais, tu m'abandonnes. Parce qu'on vous abandonne tout le temps, on a fait de vous des parenthèses à l'infini, des aventures que l'on vient vivre pour un temps avant de retrouver nos vies rangées du Sud ou repartir vers de nouvelles expériences qui nous semblent plus alléchantes que votre exotisme du Nord'

Un autre beau roman de Marc Séguin d'un médecin qui s'en va s'exiler dans le Nord pour fuir une peine d'amour. Vous seriez surpris de savoir comment souvent c'est un motif pour aller travailler au Nord... C'est la catégorie de 'ceux qui fuient'. Ça ne marche pas toujours... ; 'J'ai l'impression que l'accumulation de nos distances va aider à me réparer. Ou que le vide de ces mêmes jours va plutôt m'aspirer au fond de la terre. Ou que tu viendras peut-être me rejoindre ici. Comme je l'invente et l'espère, sans trouver la force de te le dire'


Et le dernier mais non le moindre... Nunavik de Michel Hellman qui avait lu ce blog. Mon nom est d'ailleurs dans les remerciements, c'est assez spécial! 

Atsunai! et bonne lecture! ;) 


samedi 27 février 2016

Itinérance inuit

Ai!
En direct du sud, le Nord n'est jamais bien loin ou pas si loin qu'on se l'imagine en tout cas pas dans les rues de Montréal. Les Inuits représentent grosso modo 45% de l'itinérance autochtone en milieu urbain. Ils sont surreprésentés dans l'itinérance autochtone. C'est gros, on estime que la moitié des Inuits de Montréal sont itinérants.
Pourquoi les Inuits viennent dans les rues de Montréal?
C'est ce qui m'a été demandé quand je suis sortie d'un organisme communautaire vraiment hot situé à Montréal dans une église qui accueille justement beaucoup d'Inuits. Ça s'appelle Open Doors.
Le centre accepte les donations by the way si vous vous sentez généreux et non, ils ne parlent pas de religion avec les gens qui viennent (j'ai demandé). http://opendoortoday.org/ C'est une ancienne église convertie en wet center à Montréal qui est ouverte depuis 27 ans. C'est quoi un wet center? C'est un centre qui contrairement à la plupart des centres pour itinérants accueille des gens saouls, sur le crack ou somme toute intoxiqués alors que la plupart des centres les refusent. Les gens dorment sur les bancs d'église, c'est assez spécial à voir. Le centre est ouvert de jour ce qui fait que les personnes incapables d'être sobres (et donc qui sont refusées par les autres centres) passent souvent leur nuit à déambuler dans les rues et au matin ils vont dormir sur les bancs de cette église. Enfin, une église qui sert à quelque chose! ;)

Je comprends pourquoi il n'y a pas beaucoup de centres qui acceptent les gens intoxiqués pour des raisons évidentes. Cependant, je ne suis pas d'accord que ce soit inutile d'intervenir avec quelqu'un en état d'ébriété et pourtant je n'ai pas toujours été de cet avis. Au Nord, lorsque j'ai commencé on m'avait dit 't'interviens pas avec les gens saouls'. Puis, la ligne directrice a changé ou j'avais été mal informée c'est toujours difficile de savoir au Nord. Je me souviens avoir eu des discussions sur ce sujet et j'étais vraiment pas chaude à l'idée. Les Inuits saouls font peur, c'est vrai. Ils gueulent et crachent souvent leur mal de vivre sur tout ce qui bouge et pas doucement eux qui sont pourtant d'un ordinaire réservé. Les femmes surtout sont impressionnantes de par leur fureur. Je me souviens par contre avoir eu des 'belles' interventions avec une personne intoxiquée. Oui, l'essentiel de la conversation la personne l'aura probablement oublié le lendemain mais elle se souviendra parfois que quelqu'un était là pour elle, que quelqu'un écoutait sa détresse, sa peine et il restera quelque chose, une empreinte et une trace.  C'est exactement ce que me disais l'intervenant d'Open Doors même si parfois il reste assis à ne rien dire, à écouter et se faire donner des accolades de gars saoul (et parfois des coups de poings dans la face aussi). La personne au final saura que quand elle aura besoin d'aide, peu importe son état il y aura quelqu'un pour elle et ça, ça vaut de l'or.

Les Inuits voyagent vers Montréal pour mille et une raisons. Parfois pour des rendez-vous médicaux, parfois pour des raisons judiciaires, parfois dans l'espoir de fuir leurs problèmes et leur misère et parfois simplement pour faire du magasinage, trouver un emploi, poursuivre des études etc. Tout est moins cher à Montréal et surtout l'alcool et les drogues. Il y a aussi des proxénètes, des vautours de tout genre qui rodent près des endroits où se tiennent les femmes Inuits pour abuser de leur confiance, leur donner de l'alcool gratuitement et, je vous laisse imaginer la suite... Il y a plus de ressources à Montréal qu'au Nord c'est sûr mais en même temps c'est très désorientant de rester pogné ici quand t'es habitué à la toundra. En même temps, paradoxalement certains recherchent l'anonymat qu'ils retrouvent temporairement dans la grande ville. Être itinérant dans ton village où tout le monde te connaît ou être itinérant à Montréal est assez différent.  Bref, les problèmes sociaux du Nord causent en grande partie l'itinérance à Montréal. Ne pas régler les problèmes ne fait donc que les déplacer. Les intervenants du milieu remarquent aussi l'augmentation de l'itinérance Inuit. La crise du logement au Nunavik que personne ne résout est largement pointée du doigt.
«Par ailleurs, si rien n’est fait, on connaîtra un essor de l’itinérance Inuit, ce qui amènera son lot de problèmes, de coûts sociaux et des coûts financiers pour les gouvernements de tous les niveaux, dont la Ville de Montréal et les villes environnantes.» (Société Makivik, 2012)
Donc, en gros même si les problèmes sociaux du Nord n'est pas un sujet qui t'intéresse parce qu'ils 'sont dont ben loin', dis toi qu'un jour ça viendra s'exposer devant toi au coin de la station Atwater ou lorsque tu passeras par le carré Cabot alors il n'est jamais trop tard pour t'informer un peu plus au lieu de détourner les yeux...
Atsunai!



mardi 19 janvier 2016

Que sera, sera

Ai!
C'était ma dernière semaine au Nord. Je ne vais pas m'aventurer à dire que ce sera la dernière de ma vie car l'expérience a prouvé que les choses ne sont jamais aussi simples. C'est comme une relation, même si on décide d'arrêter de voir et de parler à une personne qu'on aime, ça ne veut pas dire qu'on ne pense pas à la personne et qu'elle ne nous manque pas...  Le Nord est territoire de beauté mais aussi de laideur. Les extrêmes s'affrontent sans trop de nuances...Le Nord est déchirements, éloignement, solitude, noirceur, détresse mais il est aussi retrouvailles, immensité, intimité, présence, lumière, rires et joies. L'intensité est partout ici, dans la nature comme chez les êtres humains et c'est une partie du charme et du drame.

Parlant d'intensité, j'ai pu assister au party de départ de retraite de ma boss et à son départ à l'aéroport. Ça sonnera cliché mais, dans la vie on rencontre des gens d'exception et elle en est une. Je suis très choyée d'avoir pu travailler et connaître un peu cette grande dame qui aura passé une grande partie de sa vie au Nord. Je lui serai toujours reconnaissante de m'avoir engagé et d'avoir été la en personne ou au bout du fil lors d'interventions difficiles ou de questionnements. Elle aura su à sa manière orienter ma réflexion et celle de bien d'autres sur la présence des blancs ici.  Ses derniers mots à mon endroit avant de monter dans l'avion ont été ; 'Reviens au Nord'.  J'ai beaucoup pleuré à son party et à son départ... On a d'ailleurs eu la bonne idée de prendre une photo ou je suis vraiment à mon meilleur *sarcasme* mais c'est un bon souvenir...

Je retourne au sud. Ça n'a pas été exactement facile d'y retourner officiellement la dernière fois pour un tas de raisons. Je n'avais jamais pensé que ça serait aussi difficile, moi qui a normalement une bonne capacité d'adaptation. Je pense qu'il faut l'avoir vécu pour le comprendre.

J'ai eu envie de faire une petite liste de ce que j'ai trouvé difficile la dernière fois...
J'ai d'ailleurs changé d'emploi et de ville depuis mon retour officiel.
Voici donc les choses auxquelles je n'étais plus habituée à mon retour au travail dans le monde des blancs, dans mon monde.
Les 'crises' du sud ne sont pas celles du Nord...
Les avis ébullition qui font les gros titres des journaux me font suer.
Ai-je besoin de vous rappeler qu'au Nord parfois il n'y a même pas d'eau si les camions d'eau ont des problèmes ou qu'il y blizzard? Parfois, on demande à son voisin d'aller se laver chez lui, on va se laver au bureau (je l'ai fait à Umiujaq, aha) ou l'hiver on fait fondre de la neige pour avoir de l'eau pour laver sa vaisselle lorsqu'il n'y en a plus...
On fait bouillir l'eau, on l'économise et ici les gens lavent leur asphalte l'été.
- L'organisation du sud... des papiers encore des papiers
Les gens qui se plaignent la bouche pleine...Les gens qui en ont trop ont aussi trop de temps pour s'attarder à ce qui leur manque et se regarder le nombril.
- Le peu de vacances ; un mois de vacances par année ou moins devrait te rendre heureux, euh non?  Je suis une paresseuse et je m'assume.
- Le trafic matinal
Essayer de m'habiller mieux... je ne dis pas que les gens s'habillent mal au Nord (en fait oui mais pas tous)... je dis juste que ça a beaucoup moins d'importance comment tu es habillée et que le style 'sportif/nature/hippy' passe sans problèmes...
Les gens et le bruit... étais-je rendue sauvage ou le Nord avait juste renforcé une tendance naturelle? Le premier jour, j'étais 'overwhelmed' comme on dit en anglais. Nous, les blancs parlons tellement de tout et de rien. Nous parlons parfois pour ne rien dire. On ne se contente pas d'être'. Il faut paraître, parler, montrer qu'on est intelligent (même si ce n'est pas le cas) et qu'on a quelque chose à dire ou qu'on a fait quelque chose d'important de sa fin de semaine et de sa vie.
Aussi, c'est tellement important de bien manger au sud aussi que ça en devient ridicule (je m'inclus la dedans à l'occasion).  À la fin savez-vous qu'on va tous mourir peu importe qu'on mange du gluten ou qu'on boive du lait? Est-ce qu'on peut parler d'autre chose? Est-ce que vous pouvez arrêter de prendre des photos de votre bouffe? Une salade de quinoa, personne va me faire avaler qu'il tripe vraiment à manger ça.

Par ailleurs, l'article qui a suscité le plus de réactions d'internautes sur mon blog est celui où je parle de la chasse aux ours polaires.
Pas les articles ou je parle des femmes tuées et disparues.
Pas l'article ou je parle du suicide épidémique du Nord.
Je comprends et je conçois que c'est choquant un bel ours blanc mort, surtout que c'est une espèce en voie de disparition.
Cependant, ce n'est selon moi pas plus choquant que l'ignorance des Québécois sur les autochtones et inuits. C'est dommage que les inuits ne soient pas aussi cutes qu'un ours polaire sur la banquise.
Peut-être que si c'était le cas, les gens seraient moins caves.

Atsunai!





samedi 9 janvier 2016

Le retour et l'éducation

Ai!
Me voici revenue dans le royaume du froid pour un petit séjour de deux semaines. Merci la vie et ma boss qui m'a offert de revenir pour une petite saucette à Puvirnituq. (Coudonc, lis tu mon blog pour savoir que ça me manquait?)  Ça ne m'a pas pris 10 minutes après avoir déposé mon sac pour m'en aller marcher dans la toundra gelée qui m'avait manqué. Elle est magnifique en hiver. C'est thérapeutique vous savez, ce calme, cette infinité et ce silence. Si je meurt, j'aimerais qu'on répande mes cendres dans la toundra gelée si elle existe encore, prenez en note.



J'ai rencontré un autre animal nordique. Je l'ai montré à mes collègues inuits. Elles m'ont dit qu'elles n'avaient jamais vu ça. Il s'agit de la musaraigne nordique que j'ai rencontré dans la maison. Qui aurait cru, que de si petits animaux pouvaient survivre dans un tel froid? Elles sont très rapides, j'essaie de l'attraper pour la montrer mais à date mes efforts sont vain...




En montant, j'étais dans un avion de professeurs et je lisais 'Pédagogie des opprimés' de Paolo Freire. Pour ceux qui ne le connaissent pas, c'est un homme qui a beaucoup réfléchi sur l'importance de l'éducation chez les opprimés comme un moyen de libération et les rapports entre opprimés et oppresseurs. 

J'ai aussi eu une discussion intéressante avec un professeur originaire de Shippagan au Nouveau Brunswick. Il est la depuis 6 ans à Akulivik (un des pire village sinon le pire selon moi) et il me disait qu'il trouvait que ça empirait, que la consommation d'alcool notamment empirait, qu'un effet domino se produisait donc sur l'aggravation des problèmes sociaux et sur les élèves. Je lui ai demandé pourquoi il continuait d'enseigner.  Il m'a répondu que s'il n'avait qu'un élève d'intéressé, déjà ça valait le coup et qu'il aimait le peuple inuit et la vie au Nord.  Il était âgé, avait largement dépassé l'âge de sa retraite et n'avait pas besoin d'argent. Je suis sure qu'il se fait payer pareil mais en même temps je suis sure également qu'il n'est pas au Nord pour ça. Il avait également l'hypothèse que ça finirait par aller mieux après avoir été si mal, que tout système ou société en changement finit par se stabiliser avec le temps et revenir à un état relatif d'équilibre. Il était également critique du cursus scolaire proposé par la commission scolaire Kativik à ses élèves. L'ensemble du système éducatif au Nunavik bat de l'aile comme bien d'autres choses...

Au Nunavik, les trois premières années scolaires se font en inuktitut et ensuite c'est soit l'anglais ou le français au choix des parents. Les inuits doivent passer leurs examens dans la langue seconde choisie. Je rappelle également qu'il n'y a pas de Cégep pour les Inuits dans tout le Nunavik...Pourquoi il n'y a pas plus d'argent, de temps, de ressources investies dans les jeunes au Nunavik, dans la DPJ, les CPE comme dans le système d'éducation?  Il y a des projets, des initiatives mais il me semble que ça bouge trop lentement. Ils sont légion les enfants ici, vous savez et 85% d'entre eux n'obtiennent pas leur diplôme d'étude secondaires.  Pourquoi on investit pas davantage sur eux? Pourquoi on ne trouve pas de meilleures façons de leur enseigner inuit way? Je me doute que d'être assis dans une classe n'est pas la meilleure façon pour eux d'apprendre... Les problèmes sociaux font qu'ils ont de la misère en classe mais aussi parfois que c'est un refuge pour eux donc une fenêtre d'opportunité. Pourquoi on ne révise pas le calendrier scolaire pour répondre aux périodes de chasse? Je rêverais de revenir au Nunavik dans 30 ans et que le nombre de médecins, de policiers, d'infirmiers, de professeurs et de travailleurs sociaux Inuit ait explosé. Je sais que c'est un peu naïf mais l'utopie d'aujourd'hui est la réalité de demain.
Atsunai!