mercredi 24 avril 2019

La colère

Ai!

Je suis retournée au Nord pendant les fêtes cette année.  Deux semaines seulement juste pour être là, apporter un peu de support à la belle équipe d'Inukjuak en place, faire de la garde et accessoirement me sauver des fêtes que je n'apprécie pas particulièrement (Ça fait une maudite belle excuse partir au Nord pour "aider"). J'ai appelé, revu des anciens collègues Inuk qui allaient bien, ou moins bien. Même quand ils vont bien c'est toujours fragile comme marcher en équilibre sur un fil de fer dans une communauté marquée au fer rouge par les traumas, les deuils et la violence.  


Pendant mon séjour là-bas il y a eu un "shooting" dans le village. Des coups de feu furent tirés par un homme en crise, un périmètre policier érigé. Heureusement et exceptionnellement tout s'est bien terminé. Ces situations-là sont malheureusement monnaie courante au Nunavik et se terminent souvent avec le décès d'une ou plusieurs personnes. 
Coop
Je n'avais pas envie d'écrire sur mon blog parce que de toute façon il est un peu mort et parce que de plus en plus je réalise que ce n'est pas aux blancs d'écrire sur le peuple du Nord, c'est à eux de prendre la plume et de réécrire leurs histoires et l'histoire. 

Aujourd'hui par contre, j'écris parce que je suis particulièrement en colère. Je me permets de vous copier le témoignage de Maggie MacDonnell une enseignante de Salluit qui a été reconnue récemment mondialement pour son travail à Salluit.  Elle y témoigne sur Facebook du décès très récent d'un jeune dont elle était proche. Ce jeune Inuk je l'ai vu de loin lors de mes passages à Salluit. Je savais que c'était un modèle positif et rare au sein de sa communauté et voilà il s'est enlevé la vie. Parlons de l'effet Gaétan Girouard car ce journaliste de Radio-canada s'est suicidé en 1999 et a entraîné une hausse fulgurante des suicides au Québec. Le même phénomène s'est produit pour Robin Williams et autres vedettes. J'espère que Salluit pourra se relever de cette énorme perte mais je crains que l'effet de contagion s'amplifiera. 
J'ai hâte que la révolte gronde chez les peuples autochtones et que des comptes soient exigés. 


Amaruq Salluit
I am going to cry 😢 😭 so many tears. Larry Tamusai you were everything to us. I wish you could feel, for just a moment, the way we all loved ❤️ you. You deserve that. I know you have saved lives. It hurts so much right now. I would have done ANYTHING I could have to try to stop you if I had known that thought was in your head.
I am so angry at a system so broken that even you could fall through those cracks that are the size of canyons. You did everything anyone asked you to.
Be physically healthy.
Be smoke free.
Be drug free.
Be alcohol free.
Express yourself through music and sports. Write lyrics about your pain and your joy. Know your culture.
Have great friends.
Make music 🎶 videos
Laugh and smile brilliantly.
Share your talents with the youth.
Inspire others.
Be a best friend.
Be a loving brother.
Cherish your parents.
Support your family.
Be an adoring uncle.
Speak Inuktitut.
Volunteer and coach.
Go on the land and hunt.
Love elders.
Graduate.
Help others graduate.
Try new things.
Travel to new places.
Share your culture.
Dream big and set world records (AWG).
I was excited to see you be a dad, you loved kids so freely. It was really special when our panik got to meet you.
I keep thinking this is some cruel nightmare ... but it is fucking Canada 🇨🇦 .... where Inuit have to deal with relentless waves and tsunamis of tragedy and (sometimes)governments make token and insignificant announcements.
My worst memory of Salluit is watching you with a shovel at the graveyard as you dug the grave to bury your friend. I have lived, worked and travelled in over 10 countries - I have never had to witness a teenager do that. I was shocked. It haunts me and it creates a symbol of a disturbing ritual. Why, when teenagers are burying teenagers, is not the entire world focused on transforming this situation? Least of all our Canadian leaders holding tight the purse strings - while Inuit youth are left holding tight ropes and nooses.
This loss - like your talent, influence and potential - is so profound it can never be measured or fully captured. These words and any tribute are pale in comparison to your brilliance. You were that arsaniq that made beautiful the darkness and we all watched and admired you.
A hero just went down. Naligivagit. ❤️

jeudi 26 juillet 2018

Une saucette nordique et le principe de Jordan

Ai!
On peut enlever une fille du Nord mais on enlève pas le Nord de la fille!
vue d'Inukjuak
Je suis repartie au Nord, simplement pour un remplacement de dernière minute. Ça faisait déjà un moment que ça me travaillait. Une personne avisée m'a suggéré d'y retourner juste pour voir. On m'a dit que c'est en faisant les choses qu'on les comprends mieux, que j'avais peut-être besoin de réévaluer, de revoir et de revivre. C'est mon deuxième retour au Nord depuis ma dernière fois officielle. Le Nord m'a appelé et j'ai dis oui. J'aime sortir dehors et me perdre dans l'infini de la toundra. J'aime les hivers blancs et immaculés. J'aime le silence du Nord et son peuple. J'aime sa paix mais aussi son chaos.

Au coucher du soleil
Donc, on disait que je suis retournée à Inukjuak ou je n'avais pas mis les pieds depuis 2014 ; http://mimiaununavik.blogspot.com/2014/04/le-paradoxe-de-notre-ma-presence.html! J'étais surprise de voir que certaines personnes de la communauté se souvenaient de moi. On m'a demandé si des choses ont changé depuis. Ma première réaction a été de répondre par la négative. Puis, je me suis mis à penser. Il y a davantage de maisons et le village grandit. Une soupe populaire était nouvellement en place gérée pour et par la communauté. Les medevac (transports aérien d'urgence médicale) d'enfants se font nouvellement avec les parents suite aux pressions dans l'ensemble du Nunavik. Ce qui m'a le plus inspiré est une découverte que ma collègue du moment a fait et qu'elle m'a partagé. J'ai déjà parlé en long et en large de la discrimination systémique que vivent les peuples du Nord et autochtones, je ne vais pas revenir la dessus. Or, voici l'histoire de Jordan qui donne un souffle d'espoir.

Jordan
Jordan River Anderson est un enfant cri du Manitoba qui naît en 1999  avec de multiples problématiques de santé. Il passera 2 ans inutilement à l'hôpital parce que la province du Manitoba et le gouvernement fédéral se disputent à savoir qui devrait payer pour la résidence adaptée qu'il nécessite. Pour ceux qui ne savent pas les services aux autochtones relèvent du gouvernement fédéral principalement depuis la création des réserves, etc. Revenons à nos moutons, Jordan meurt à l'âge de 5 ans à l'hôpital n'ayant jamais passé un jour dans un milieu adapté à ses besoins. Comme beaucoup d'enfants des premières nations, lui et sa famille furent victimes d'un système qui ne leur donnaient pas accès aux mêmes ressources que s'il avait été blanc. Beaucoup plus tard, en 2016, le tribunal canadien des droits de la personne a établi que le gouvernement était effectivement discriminatoire dans la prestation des services aux enfants autochtones et ;  'Depuis que la décision a été rendue, le TCDP a émis un certain nombre d'ordonnances de suivi concernant le principe de Jordan. En mai 2017, il a ordonné que s'applique le principe d'« égalité réelle » pour les enfants des Premières Nations en vertu du principe de Jordan. Ce qui signifie d'accorder une aide supplémentaire lorsque nécessaire afin que les enfants des Premières Nations aient une chance égale de s'épanouir.' https://www.canada.ca/fr/services-autochtones-canada/services/principe-jordan.html

Lever du soleil sur le balcon après un appel à 3h30 du matin! 
Ce principe n'est pas parfait, adopté en 2007, il demeure peu connu et publicisé et la réponse du gouvernement n'est pas comment dire... assez «forte» pour réellement dire que c'est fantastique selon ce que j'ai lu... Il a quand même fallu attendre que le tribunal s'en mêle... Donc sur papier, c'est beau en pratique c'est autre chose. Cependant, je choisis de voir le verre à moitié plein et de me dire voici un changement, voici l'espoir. Pour reprendre les mots de Gaston Miron ;
Je ne suis pas revenue pour revenir, je suis arrivée à ce qui commence
Atsunai!










mercredi 13 juillet 2016

Lectures nordiques

Ai!
Le Nord a passé proche de me ramener à lui il y a un mois mais j'ai décliné l'offre...
Forêt mousseuse du BC
J'ai pris des vacances pour moi et je suis allée me perdre dans les forêts magiques d'Haida Gwaii en Colombie Britannique à la place. Les Haidas sont par ailleurs un peuple très intéressant et très riche culturellement. Une jeune fille Haida dans un musée me racontait d'ailleurs qu'ils sont l'un des peuples autochtone les plus diplômés au Canada. Les jeunes Haidas reçoivent une magnifique cape brodée aux motifs de leur clan à leur diplomation et doivent danser avec cette cape. C'est une source de motivation pour plusieurs. La Colombie britannique compte pas moins de 200 différentes premières nations et au moins une trentaine de langues qui sont pour la plupart malheureusement en danger...
Je continue tout de même de visiter le Nord dans mes lectures ces temps-ci...

Le très beau roman de Juliana Léveillé-Trudel 'Nirliit' que je vous conseille. 
On m'avait justement demandé lorsque je parlais de mon amour de la toundra ; 'Tu dois retrouver le sentiment que tu as dans la toundra quand tu vois de magnifiques paysages en voyage, non? 
J'avais répondu ; 'Non c'est pas pareil, je ne sais pas comment l'expliquer'
Voilà l'explication est là ; 

'Une beauté en forme de coup de poing dans le ventre, il y a juste la toundra qui fait ça, paysage complètement démesuré et bouleversant tout seul au bout du monde avec si peu de gens pour l’admirer.'

Un autre passage
Le Nord est dur pour le coeur. Le Nord est un enfant balotté d'une famille d'accueil à l'autre, le Nord ne veut pas être rejeté de nouveau, le Nord te fait la vie impossible jusqu'à ce que ton coeur n'en puisse plus et que tu le quittes avant d'exploser, et il pourra te dire voilà : je le savais, tu m'abandonnes. Parce qu'on vous abandonne tout le temps, on a fait de vous des parenthèses à l'infini, des aventures que l'on vient vivre pour un temps avant de retrouver nos vies rangées du Sud ou repartir vers de nouvelles expériences qui nous semblent plus alléchantes que votre exotisme du Nord'

Un autre beau roman de Marc Séguin d'un médecin qui s'en va s'exiler dans le Nord pour fuir une peine d'amour. Vous seriez surpris de savoir comment souvent c'est un motif pour aller travailler au Nord... C'est la catégorie de 'ceux qui fuient'. Ça ne marche pas toujours... ; 'J'ai l'impression que l'accumulation de nos distances va aider à me réparer. Ou que le vide de ces mêmes jours va plutôt m'aspirer au fond de la terre. Ou que tu viendras peut-être me rejoindre ici. Comme je l'invente et l'espère, sans trouver la force de te le dire'


Et le dernier mais non le moindre... Nunavik de Michel Hellman qui avait lu ce blog. Mon nom est d'ailleurs dans les remerciements, c'est assez spécial! 

Atsunai! et bonne lecture! ;) 


samedi 27 février 2016

Itinérance inuit

Ai!
En direct du sud, le Nord n'est jamais bien loin ou pas si loin qu'on se l'imagine en tout cas pas dans les rues de Montréal. Les Inuits représentent grosso modo 45% de l'itinérance autochtone en milieu urbain. Ils sont surreprésentés dans l'itinérance autochtone. C'est gros, on estime que la moitié des Inuits de Montréal sont itinérants.
Pourquoi les Inuits viennent dans les rues de Montréal?
C'est ce qui m'a été demandé quand je suis sortie d'un organisme communautaire vraiment hot situé à Montréal dans une église qui accueille justement beaucoup d'Inuits. Ça s'appelle Open Doors.
Le centre accepte les donations by the way si vous vous sentez généreux et non, ils ne parlent pas de religion avec les gens qui viennent (j'ai demandé). http://opendoortoday.org/ C'est une ancienne église convertie en wet center à Montréal qui est ouverte depuis 27 ans. C'est quoi un wet center? C'est un centre qui contrairement à la plupart des centres pour itinérants accueille des gens saouls, sur le crack ou somme toute intoxiqués alors que la plupart des centres les refusent. Les gens dorment sur les bancs d'église, c'est assez spécial à voir. Le centre est ouvert de jour ce qui fait que les personnes incapables d'être sobres (et donc qui sont refusées par les autres centres) passent souvent leur nuit à déambuler dans les rues et au matin ils vont dormir sur les bancs de cette église. Enfin, une église qui sert à quelque chose! ;)

Je comprends pourquoi il n'y a pas beaucoup de centres qui acceptent les gens intoxiqués pour des raisons évidentes. Cependant, je ne suis pas d'accord que ce soit inutile d'intervenir avec quelqu'un en état d'ébriété et pourtant je n'ai pas toujours été de cet avis. Au Nord, lorsque j'ai commencé on m'avait dit 't'interviens pas avec les gens saouls'. Puis, la ligne directrice a changé ou j'avais été mal informée c'est toujours difficile de savoir au Nord. Je me souviens avoir eu des discussions sur ce sujet et j'étais vraiment pas chaude à l'idée. Les Inuits saouls font peur, c'est vrai. Ils gueulent et crachent souvent leur mal de vivre sur tout ce qui bouge et pas doucement eux qui sont pourtant d'un ordinaire réservé. Les femmes surtout sont impressionnantes de par leur fureur. Je me souviens par contre avoir eu des 'belles' interventions avec une personne intoxiquée. Oui, l'essentiel de la conversation la personne l'aura probablement oublié le lendemain mais elle se souviendra parfois que quelqu'un était là pour elle, que quelqu'un écoutait sa détresse, sa peine et il restera quelque chose, une empreinte et une trace.  C'est exactement ce que me disais l'intervenant d'Open Doors même si parfois il reste assis à ne rien dire, à écouter et se faire donner des accolades de gars saoul (et parfois des coups de poings dans la face aussi). La personne au final saura que quand elle aura besoin d'aide, peu importe son état il y aura quelqu'un pour elle et ça, ça vaut de l'or.

Les Inuits voyagent vers Montréal pour mille et une raisons. Parfois pour des rendez-vous médicaux, parfois pour des raisons judiciaires, parfois dans l'espoir de fuir leurs problèmes et leur misère et parfois simplement pour faire du magasinage, trouver un emploi, poursuivre des études etc. Tout est moins cher à Montréal et surtout l'alcool et les drogues. Il y a aussi des proxénètes, des vautours de tout genre qui rodent près des endroits où se tiennent les femmes Inuits pour abuser de leur confiance, leur donner de l'alcool gratuitement et, je vous laisse imaginer la suite... Il y a plus de ressources à Montréal qu'au Nord c'est sûr mais en même temps c'est très désorientant de rester pogné ici quand t'es habitué à la toundra. En même temps, paradoxalement certains recherchent l'anonymat qu'ils retrouvent temporairement dans la grande ville. Être itinérant dans ton village où tout le monde te connaît ou être itinérant à Montréal est assez différent.  Bref, les problèmes sociaux du Nord causent en grande partie l'itinérance à Montréal. Ne pas régler les problèmes ne fait donc que les déplacer. Les intervenants du milieu remarquent aussi l'augmentation de l'itinérance Inuit. La crise du logement au Nunavik que personne ne résout est largement pointée du doigt.
«Par ailleurs, si rien n’est fait, on connaîtra un essor de l’itinérance Inuit, ce qui amènera son lot de problèmes, de coûts sociaux et des coûts financiers pour les gouvernements de tous les niveaux, dont la Ville de Montréal et les villes environnantes.» (Société Makivik, 2012)
Donc, en gros même si les problèmes sociaux du Nord n'est pas un sujet qui t'intéresse parce qu'ils 'sont dont ben loin', dis toi qu'un jour ça viendra s'exposer devant toi au coin de la station Atwater ou lorsque tu passeras par le carré Cabot alors il n'est jamais trop tard pour t'informer un peu plus au lieu de détourner les yeux...
Atsunai!



mardi 19 janvier 2016

Que sera, sera

Ai!
C'était ma dernière semaine au Nord. Je ne vais pas m'aventurer à dire que ce sera la dernière de ma vie car l'expérience a prouvé que les choses ne sont jamais aussi simples. C'est comme une relation, même si on décide d'arrêter de voir et de parler à une personne qu'on aime, ça ne veut pas dire qu'on ne pense pas à la personne et qu'elle ne nous manque pas...  Le Nord est territoire de beauté mais aussi de laideur. Les extrêmes s'affrontent sans trop de nuances...Le Nord est déchirements, éloignement, solitude, noirceur, détresse mais il est aussi retrouvailles, immensité, intimité, présence, lumière, rires et joies. L'intensité est partout ici, dans la nature comme chez les êtres humains et c'est une partie du charme et du drame.

Parlant d'intensité, j'ai pu assister au party de départ de retraite de ma boss et à son départ à l'aéroport. Ça sonnera cliché mais, dans la vie on rencontre des gens d'exception et elle en est une. Je suis très choyée d'avoir pu travailler et connaître un peu cette grande dame qui aura passé une grande partie de sa vie au Nord. Je lui serai toujours reconnaissante de m'avoir engagé et d'avoir été la en personne ou au bout du fil lors d'interventions difficiles ou de questionnements. Elle aura su à sa manière orienter ma réflexion et celle de bien d'autres sur la présence des blancs ici.  Ses derniers mots à mon endroit avant de monter dans l'avion ont été ; 'Reviens au Nord'.  J'ai beaucoup pleuré à son party et à son départ... On a d'ailleurs eu la bonne idée de prendre une photo ou je suis vraiment à mon meilleur *sarcasme* mais c'est un bon souvenir...

Je retourne au sud. Ça n'a pas été exactement facile d'y retourner officiellement la dernière fois pour un tas de raisons. Je n'avais jamais pensé que ça serait aussi difficile, moi qui a normalement une bonne capacité d'adaptation. Je pense qu'il faut l'avoir vécu pour le comprendre.

J'ai eu envie de faire une petite liste de ce que j'ai trouvé difficile la dernière fois...
J'ai d'ailleurs changé d'emploi et de ville depuis mon retour officiel.
Voici donc les choses auxquelles je n'étais plus habituée à mon retour au travail dans le monde des blancs, dans mon monde.
Les 'crises' du sud ne sont pas celles du Nord...
Les avis ébullition qui font les gros titres des journaux me font suer.
Ai-je besoin de vous rappeler qu'au Nord parfois il n'y a même pas d'eau si les camions d'eau ont des problèmes ou qu'il y blizzard? Parfois, on demande à son voisin d'aller se laver chez lui, on va se laver au bureau (je l'ai fait à Umiujaq, aha) ou l'hiver on fait fondre de la neige pour avoir de l'eau pour laver sa vaisselle lorsqu'il n'y en a plus...
On fait bouillir l'eau, on l'économise et ici les gens lavent leur asphalte l'été.
- L'organisation du sud... des papiers encore des papiers
Les gens qui se plaignent la bouche pleine...Les gens qui en ont trop ont aussi trop de temps pour s'attarder à ce qui leur manque et se regarder le nombril.
- Le peu de vacances ; un mois de vacances par année ou moins devrait te rendre heureux, euh non?  Je suis une paresseuse et je m'assume.
- Le trafic matinal
Essayer de m'habiller mieux... je ne dis pas que les gens s'habillent mal au Nord (en fait oui mais pas tous)... je dis juste que ça a beaucoup moins d'importance comment tu es habillée et que le style 'sportif/nature/hippy' passe sans problèmes...
Les gens et le bruit... étais-je rendue sauvage ou le Nord avait juste renforcé une tendance naturelle? Le premier jour, j'étais 'overwhelmed' comme on dit en anglais. Nous, les blancs parlons tellement de tout et de rien. Nous parlons parfois pour ne rien dire. On ne se contente pas d'être'. Il faut paraître, parler, montrer qu'on est intelligent (même si ce n'est pas le cas) et qu'on a quelque chose à dire ou qu'on a fait quelque chose d'important de sa fin de semaine et de sa vie.
Aussi, c'est tellement important de bien manger au sud aussi que ça en devient ridicule (je m'inclus la dedans à l'occasion).  À la fin savez-vous qu'on va tous mourir peu importe qu'on mange du gluten ou qu'on boive du lait? Est-ce qu'on peut parler d'autre chose? Est-ce que vous pouvez arrêter de prendre des photos de votre bouffe? Une salade de quinoa, personne va me faire avaler qu'il tripe vraiment à manger ça.

Par ailleurs, l'article qui a suscité le plus de réactions d'internautes sur mon blog est celui où je parle de la chasse aux ours polaires.
Pas les articles ou je parle des femmes tuées et disparues.
Pas l'article ou je parle du suicide épidémique du Nord.
Je comprends et je conçois que c'est choquant un bel ours blanc mort, surtout que c'est une espèce en voie de disparition.
Cependant, ce n'est selon moi pas plus choquant que l'ignorance des Québécois sur les autochtones et inuits. C'est dommage que les inuits ne soient pas aussi cutes qu'un ours polaire sur la banquise.
Peut-être que si c'était le cas, les gens seraient moins caves.

Atsunai!





samedi 9 janvier 2016

Le retour et l'éducation

Ai!
Me voici revenue dans le royaume du froid pour un petit séjour de deux semaines. Merci la vie et ma boss qui m'a offert de revenir pour une petite saucette à Puvirnituq. (Coudonc, lis tu mon blog pour savoir que ça me manquait?)  Ça ne m'a pas pris 10 minutes après avoir déposé mon sac pour m'en aller marcher dans la toundra gelée qui m'avait manqué. Elle est magnifique en hiver. C'est thérapeutique vous savez, ce calme, cette infinité et ce silence. Si je meurt, j'aimerais qu'on répande mes cendres dans la toundra gelée si elle existe encore, prenez en note.



J'ai rencontré un autre animal nordique. Je l'ai montré à mes collègues inuits. Elles m'ont dit qu'elles n'avaient jamais vu ça. Il s'agit de la musaraigne nordique que j'ai rencontré dans la maison. Qui aurait cru, que de si petits animaux pouvaient survivre dans un tel froid? Elles sont très rapides, j'essaie de l'attraper pour la montrer mais à date mes efforts sont vain...




En montant, j'étais dans un avion de professeurs et je lisais 'Pédagogie des opprimés' de Paolo Freire. Pour ceux qui ne le connaissent pas, c'est un homme qui a beaucoup réfléchi sur l'importance de l'éducation chez les opprimés comme un moyen de libération et les rapports entre opprimés et oppresseurs. 

J'ai aussi eu une discussion intéressante avec un professeur originaire de Shippagan au Nouveau Brunswick. Il est la depuis 6 ans à Akulivik (un des pire village sinon le pire selon moi) et il me disait qu'il trouvait que ça empirait, que la consommation d'alcool notamment empirait, qu'un effet domino se produisait donc sur l'aggravation des problèmes sociaux et sur les élèves. Je lui ai demandé pourquoi il continuait d'enseigner.  Il m'a répondu que s'il n'avait qu'un élève d'intéressé, déjà ça valait le coup et qu'il aimait le peuple inuit et la vie au Nord.  Il était âgé, avait largement dépassé l'âge de sa retraite et n'avait pas besoin d'argent. Je suis sure qu'il se fait payer pareil mais en même temps je suis sure également qu'il n'est pas au Nord pour ça. Il avait également l'hypothèse que ça finirait par aller mieux après avoir été si mal, que tout système ou société en changement finit par se stabiliser avec le temps et revenir à un état relatif d'équilibre. Il était également critique du cursus scolaire proposé par la commission scolaire Kativik à ses élèves. L'ensemble du système éducatif au Nunavik bat de l'aile comme bien d'autres choses...

Au Nunavik, les trois premières années scolaires se font en inuktitut et ensuite c'est soit l'anglais ou le français au choix des parents. Les inuits doivent passer leurs examens dans la langue seconde choisie. Je rappelle également qu'il n'y a pas de Cégep pour les Inuits dans tout le Nunavik...Pourquoi il n'y a pas plus d'argent, de temps, de ressources investies dans les jeunes au Nunavik, dans la DPJ, les CPE comme dans le système d'éducation?  Il y a des projets, des initiatives mais il me semble que ça bouge trop lentement. Ils sont légion les enfants ici, vous savez et 85% d'entre eux n'obtiennent pas leur diplôme d'étude secondaires.  Pourquoi on investit pas davantage sur eux? Pourquoi on ne trouve pas de meilleures façons de leur enseigner inuit way? Je me doute que d'être assis dans une classe n'est pas la meilleure façon pour eux d'apprendre... Les problèmes sociaux font qu'ils ont de la misère en classe mais aussi parfois que c'est un refuge pour eux donc une fenêtre d'opportunité. Pourquoi on ne révise pas le calendrier scolaire pour répondre aux périodes de chasse? Je rêverais de revenir au Nunavik dans 30 ans et que le nombre de médecins, de policiers, d'infirmiers, de professeurs et de travailleurs sociaux Inuit ait explosé. Je sais que c'est un peu naïf mais l'utopie d'aujourd'hui est la réalité de demain.
Atsunai! 


vendredi 4 décembre 2015

Nostalgie

'Dans la toundra j'existe, l'âme toujours en mouvement à partir du cœur. Dans quelle direction va mon corps, tremblant, prêt à ne plus exister après avoir tant aimé la simple odeur des feuilles, la frénésie des oiseaux en mai ? J'existe, moins que le temps des lumières ou des enfants bienheureux. Mais quand bien même j'aurais été conçu pour cesser d'exister, j'existerais dans l'éternité des pierres, sur la trace des loutres amusées, dans l'envol d'un uppialuk millénaire. Crier cette existence donne tout son sens à mon non-sens possible.' - Jean Désy


Le Nord me manque parfois. J'y reviendrai... en 2016 peut-être y faire un petit tour... ;)
Atsunai

samedi 6 juin 2015

Taima

Ai!
Revirement de situation, je suis de retour dans mon chez moi plus tôt que prévu car le travailleur social que je remplaçais a décidé d'écourter ses vacances. J'aurais pu rester davantage mais j'ai décidé de repartir vers la chaleur et mon monde à moi. Il est étrange de partir du Nord en se disant que ça sera la dernière fois. Il est étrange d'être ici en se disant qu'on ne remontera pas de sitôt. Ce n'était pas triste de partir et, je ne l'étais pas.
Je crois que j'étais un peu fatiguée et que mon temps était venu. 
Qui sait, peut-être que lorsque je serai vieille j'y retournerai. Je sais que le Nord n'ira nulle part et qu'il y aura toujours besoin de TS et qu'une TS expérimentée sera toujours la bienvenue.  
le Nord ou les pieds entre deux univers
Le chauffeur inuk que j'aime bien m'a apporté à l'aéroport d'Umiujaq en commençant par me dire 'Taima, Émilie?' ce qui veut dire 'c'est terminé, Émilie?' J'y ai vu comme un signe vu qu'il ne pouvait pas savoir que ces mots avaient une signification plus profonde pour moi. J'ai eu un petit moment d'émotion et j'ai regardé au loin la magnifique toundra vaste et infinie et j'ai répondu 'Aa Taima' ce qui veut dire 'oui, c'est terminé'. 

mercredi 20 mai 2015

Le début de la fin

Ai!
Je suis de retour a Umiujaq pour ce qui sera fort probablement mon dernier séjour au Nord pour le moment. Étant une éternelle indécise, je ne veux pas dire que j'en suis sure car ce n'est pas vrai. Plusieurs raisons motivent ce choix et elles ont transparu lors de mes écrits dans ce blog. Mes premiers jours ici ont été assez difficiles aussi. J'en reparlerai peut-être mais, pas en détail. Je ne parle pas souvent des histoires de cas que je rencontre ici car je cherche à respecter la confidentialité et ces histoires ne m'appartiennent pas même si j'y joue un rôle.  Un ami qui lit ce blog m'a un jour suggéré de continuer à faire du Nord parce qu'il trouvait qu'on avait besoin de plus de monde comme moi ici. C'est gentil mais ce n'est pas vrai.

J'ai lu dernièrement 'Guerriers de l'impossible' que je vous conseille qui parle de l'argent, des armes et de l'aide humanitaire. Quel est le lien avec le nord me direz-vous? J'en ai vu plusieurs. Je cite Amanda Nutt ; 'Pour améliorer l'efficacité de l'aide, le mouvement humanitaire doit se réajuster en misant sur le transfert des connaissances et la formation de même qu'en réduisant les obstacles qui entravent l'engagement et la participation des populations locales. Cet objectif ne pourra jamais être atteint avec l'ouverture de bureaux toujours plus grands composés majoritairement d'étrangers occupant des postes décisionnels alors que des communautés attendent passivement que leur vie change.'

Il se passe malheureusement souvent la même chose au Nord, pas toujours mais souvent. Le Nord est peuplé d'étrangers qui viennent travailler et parfois vivre. Ils n'appartiennent pas au Nord mais font parfois comme si le Nord et leurs habitants leur appartenait... Certains prétendent savoir ce qui est mieux pour ces populations, en fait chacun à sa petite idée et d'autres continuent de se le demander. Les TS qui ont un poste permanent et qui ne prennent que 4 mois de vacances au sud ont plus de pouvoir de changement je crois qu'une TPO comme moi qui se promène constamment et qui fait de petits séjours. Comme en travail de rue, le lien établi avec les gens ici est plus important que n'importe quoi. Une construction de lien ne se fait pas en quelques semaines...

¸

Je n'ai pas beaucoup de conseils pour ceux qui viennent travailler au nord pour les services sociaux mais j'en ai au moins trois. Le premier et le plus important est d'abord et avant tout d'apprendre à se taire, d'écouter, d'observer énormément et de travailler sa patience. C'est difficile pour nous les blancs qui carburons souvent à l'efficacité et aux solutions. Écouter ce qui est dit mais écouter aussi ce qui se passe dans le silence. Si vous parvenez un jour à écouter comme un inuk, vous aurez fait un grand pas.

Apprendre à lâcher prise est capital. Ce client qui se présente pas au rendez-vous prévu, cet avion qui ne décolle pas, cette neige si blanche qui fait que vous 'pogner' le char dans la neige, ce festival qui entraîne vos collègues inuits à ne pas se présenter au travail. Le lâcher prise au Nord est salutaire, nécessaire et grandement bénéfique pour votre santé mentale et celle de tous ceux qui vous entourent.

Il est important d'avoir une ou des personnes également idéalement dans le même domaine de travail que vous ou au moins au Nord ou au sud mais qui comprennent la réalité du Nord et à qui vous pouvez parler.  Pour partager ce que vous vivez, vos tristesses, vos peines, vos découragements, frustrations et aussi vos joies. On peut en avoir plus qu'un ou une! L'important, c'est de parler ou d'écrire... ;)

J'ai mis des images de mon voyage en Grèce question de mettre un peu de beauté...!
J'écrirai bientôt sur la judiciarisation des inuits... thème vaste s'il en est un mais que j'ai toujours voulu aborder. À suivre!
Atsunai!

jeudi 26 mars 2015

Fin, festival des neiges et nez rouge


Ai!
Je prends l'avion demain pour retrouver Montréal. Cette semaine était la semaine du Snow Fest. Voici quelques images prises par moi mais surtout ma collègue Sonia. Ma caméra n'aime pas le froid intense et se ferme malheureusement. C'est un beau festival qui revient chaque deux ans et qui rassemble les gens des 14 communautés du Nunavik et même des gens du Nunavut venus chanter, danser, s'amuser et participer à différents concours qui visent à mettre en valeur les éléments de la culture inuit traditionnelle. Les concours sont divers ; fabrication d'igloos, d'outils, chants de gorge, sculpture sur glace, course de traîneaux à chiens, ect. C'est un beau rendez-vous festif et important!
J'ai fait Nez rouge bénévolement également avec mon amie Christina. Je l'avais fait la première année mais c'est désormais un peu mieux organisé. Le Nez rouge version inuit est avec un walkie talkie et l'aide de la radio locale. Les gens appellent à la radio pour dire qu'ils ont besoin d'un lift à telle maison et nous écoutons la radio et arrivons. Il y a également une personne avec un walkie talkie qui reçoit des appels chez elle et qui nous transmet les numéros de maison. Une de nos stratégies personnelles était également de crier NEZ ROUGE comme des folles à l'extérieur du gym lorsque nous passions devant pour signifier notre présence. On se rappelle qu'il n'y a pas de taxi dans la communauté donc on sert aussi un peu à ça. Imaginez-vous qu'on a trouvé un homme qui était manifestement saoul mort et qui avait eu la bonne idée de s'étendre dans la neige...?! Voici un article sur l’événement de Noël pour ceux que ça intéresse; http://www.nunatsiaqonline.ca/stories/article/65674nunavik_community_offers_holiday_taxi_service/
Bref, c'était un peu fatiguant mais on a eu du fun et les gens étaient reconnaissants. Maintenant, vacances!
Atsunai!

jeudi 19 mars 2015

Les coupures et le suicide chez les inuits

Ai!
Tout d'abord dire que si j'ai osé penser (naïve que je suis) que le gouvernement Couillard ne couperait pas dans l'une des régions les plus pauvre du Québec, j'avais tord. On dirait que y'a toujours de l'argent à faire sur la misère. Le gouvernement ne renouvelle pas la prime de rétention sous prétexte que ça ne fonctionne pas. Il nous restera la prime d'éloignement et l'allocation nourriture seulement. Il n'a pas l'air de proposer d'autres façons de retenir le personnel au Nord par contre qui est une denrée rare. Il y a des négociations en cours mais la dernière fois il paraît que ça avait pris deux ans pour la ravoir de nouveau. Un programme de formation était également en cours pour former des community worker (les travailleuses et plus rares travailleur inuit) qui travaillent en partenariat avec les TS des communautés. Ce programme n'est également pas reconduit pour des raisons que je n'ai pas totalement compris. Pour avoir côtoyé des inuits qui étaient très motivés par ce programme, qui gagnaient en confiance en intervention et qui étaient si fiers de recevoir un diplôme à la fin de leur formation, je trouve personnellement que cette nouvelle est une grosse MARDE. J'essaie d'être politiquement correct la plupart du temps mais la non. Fuck you Couillard.

taux de suicide canadien
par tranche de 100 000 personne
Parlons suicide! Thématique triste s'il en est une, il faut néanmoins en parler car c'est une épidémie ici au Nord et le taux de suicide est l'un des plus élevés au monde. Je n'avais jamais abordé le thème en profondeur mais, dans le cadre de mon remplacement actuel, je rencontre beaucoup de gens hospitalisés suite à une tentative de suicide. Ce sont des jeunes surtout et, je ne vois pas ceux qui sont décédés évidemment. Les raisons pour avoir attenté à leurs vies sont multiples ; ruptures, maladies mentales, abus sexuels, abus de drogues, dispute avec un ou une amie, un membre de la famille, désespoir... Le suicide est fortement banalisé ici et on dirait que pour certaines personnes dès qu'une difficulté survient attenter à sa vie est la solution privilégiée. C'est plutôt selon moi un manque de facteurs de protection et un manque de mécanismes de 'coping'. Tout le monde ici connaît quelqu'un qui s'est suicidé et, pour ceux qui ne le savent pas, un suicide affecte directement au moins une dizaine de personne. Avec la petitesse de la population et le nombre élevé de suicide, ça risque de te fesser plusieurs fois dans ta vie si tu es inuk et d'ailleurs le taux de suicide chez les Inuits est de 11 fois supérieur à celui du reste de la population canadienne. Lorsque tu connais quelqu'un qui s'est suicidé, tu deviens également plus à risque d'utiliser cette option dans ta vie. Comme un jeu de domino, les gens sont si intimement reliés ici qu'il n'est pas rare d'en voir tomber plusieurs à quelques semaines, mois, années d'intervalles au sein d'une même communauté. Dans le village de Salluit, où j'ai fait deux fois des remplacements par exemple, l'hiver a été particulièrement difficile et il y a eu au moins 5 suicides en 2 mois dans un village d'environ 1300 personnes.
oeuvre d'Annie Pootoogook

Mon premier séjour au Nord s'était d'ailleurs terminé par le suicide d'un homme (à Salluit) avec qui j'avais intervenu. Sans surprises, ce sont les hommes qui meurent plus souvent mais d'abord selon moi (et les études) parce qu'ils utilisent des moyens plus mortels que les femmes qui préfèrent l'abus de médicaments. Les médecins en sont rendus à essayer d'effrayer les patients avec les conséquences de l'abus de médicaments du type tylenol à long terme sur leur foie tellement certains et certaines font des tentatives répétées. L'absence de projet de vie se transforme souvent en projet de mort ici.  Il m'arrive souvent de laisser partir des jeunes suicidaires de l'hôpital en disant au docteur que je crois qu'il y ait de fortes chances qu'ils reviennent, morts ou vivants selon leur volonté de la prochaine tentative de suicide. J'ai l'air d'en parler froidement mais non, c'est juste que j'ai fermement intégré la notion que ; chaque personne est ultimement responsable de sa propre vie.

Ce n'est pas aider les gens que de les surprotéger, de faire les choses à leur place et de leur donner des solutions qui ne viennent pas d'eux-mêmes. En faisant cela, les intervenants ne cherchent qu'a apaiser leur propre peur. C'est une réaction normale car nul ne veut se sentir minimalement responsable de la mort de quelqu'un et qu'on a souvent le complexe du 'sauveur'.  Je crois qu'ici comme ailleurs les gens ont le choix mais, je crois aussi que si j'étais née inuk, cette option en serait une intéressante pour moi comme pour les autres. Je me dis parfois que si j'étais inuk, je serais probablement souvent saoule, droguée et suicidaire. Il m'appert donc important de ne pas juger quelqu'un qui veut mourir mais plutôt de chercher ce qui fait que cette personne est toujours en vie et chercher avec elle des moyens pour qu'elle le reste encore mais, à la fin c'est elle qui choisit, c'est elle qui se coupe les veines, appuie sur la détente, avale les pilules ou va se perdre dans la toundra.  Pour aviver ou carrément rallumer un feu, une envie de vivre il faut une étincelle, des braises à la base et malheureusement parfois elle n'est même pas là. Ce n'est pas facile d'allumer du feu avec du bois mouillé.

Si on se remet dans le contexte historique, selon ce que j'ai lu avant la colonisation et la sédentarisation forcée, les taux de suicide étaient extrêmement bas et étaient souvent commis par des aînés en perte d'autonomie importante et des gens malades. Le suicide avait alors une autre signification, c'était davantage l'aspect 'Je ne suis plus utile pour ma communauté, je suis un fardeau donc aussi bien m'en aller'. En ce moment, je vois surtout des jeunes en pleine santé qui ne veulent juste pas continuer et qui, à la moindre crise ou difficulté veulent 'tirer la plug'. Les inuits traditionnellement étaient toujours en mode survie donc ils ne planifiaient pas pour le futur et ne faisaient pas de plans tant que ça comme tel. C'est donc difficile de raccrocher des gens à un projet quelconque car, encore aujourd'hui, rares sont ceux qui se soucient de l'avenir.

initiative Nunavut, 2013
Lorsque je rencontre quelqu'un et que je cherche avec la personne ce qu'elle pourrait faire la prochaine fois qu'elle ne va pas bien et que je regarde avec elle différentes options, je suggère souvent des choses qui ont été énoncées dans cette étude faite en partenariat avec les aînés du Nunavik et qui sont reconnues comme bénéfiques pour la santé mentale comme de se confier à quelqu'un, de ne pas s'isoler, de se changer les idées, faire de l'exercice, etc. Ces habiletés et connaissances ont donc été présentes dans la culture anciennement mais se sont perdues (?) suite à la colonisation, suite aux pensionnats et suite à la perte de valeurs traditionnelles.
http://www.naho.ca/documents/it/2006_Suicide_Prevention-Elders.pdf

Il est quand même assez paradoxal et triste qu'un des peuple les plus résistant de la terre qui a survécu dans des conditions aussi extrêmes pendant plusieurs années soit actuellement l'un des endroits au monde ou la mort est le plus souvent choisie de façon volontaire. Le Nunavik n'est plus 'la terre où vivre'. Heureusement, des gens se mobilisent et des programmes de prévention existent. Par exemple, à Salluit suite à la vague de suicide un travailleur social local a pris le téléphone et a appelé le 'regional health board' et a demandé d'avoir des éducateurs pour donner un training appelé 'Nunavik Applied suicide intervention skills' 'ASIST'. Cela a permis de former 44 personnes de la communauté à identifier les personnes à risques, à intervenir et simplement de démystifier que c'est correct d'en parler.  http://www.nunatsiaqonline.ca/stories/article/65674salluit_turns_to_asist_following_cluster_of_suicides_late_last_year/
Il y a de la lumière dans la noirceur et comme disent les aînés ;
'Inuit never gave up. Inuit always had hope.'
Atsunai!

mercredi 4 mars 2015

Les droits et surtout leur non respect...

Ai!
Je suis de retour à Puvirnituq depuis environ trois semaines. Je suis déjà au milieu de mon remplacement, ça va vite!  Je n'y avais pas travaillé depuis à peu près un an. Je ne sais pas si je l'ai déjà dit mais ce n'est pas mon village préféré. C'est juste que parfois je m'attends à plus vu que c'est ici que se trouve le centre hospitalier mais tu arrives et il n'y a aucun Taamani pour internet au bureau de la municipalité (notez que je n'ai vu ça dans aucun autre village ) après ça pendant la fin de semaine dès samedi le sewage (eaux usées) est plein et tu te dis...à Puvi, rien ne change car j'avais eu le même problème l'an dernier. On a eu des problèmes de téléphone au bureau et c'est un problème récurrent ici. Aussi, à mon arrivée contrairement aux autres villages j'ai du trouver par moi-même le conducteur du centre de santé et heureusement que je savais ou j'allais rester ... et ce n'était finalement pas le bon transit! Une de mes collègues devait déménager et elle est arrivée dans une maison ou vivait déjà quelqu'un... Bref, c'est pas vraiment impressionnant même si c'est ici ou il y a le centre administratif et le plus d'étrangers. J'ai vécu un espèce de choc aussi en participant à une rencontre sur les dossiers. Moi qui est habituée de me promener dans les villages et d'être en contact majoritairement avec des inuits, j'étais entourée de blancs parlant de la bonne tenue de dossier et de comment l'améliorer et je me suis dis encore une fois que les inuits ne me semblent souvent n'être que des ombres dans leur système de santé calqué sur le modèle du sud...et qu'a ce rythme la il y aura encore des blancs ici pendant très longtemps...

Saviez-vous que parfois des blancs font leur jogging aux alentours du village. Je ne savais pas mais on m'a dit que ça faisait parfois grincer des dents la population. Il faut savoir qu'il y a des gens qui ont souvent faim au Nord et que de voir un blanc bien nourrit qui court aux alentours du village lance un peu le message ; 'Hey, j'ai besoin de dépenser les nombreuses calories que je peux me permettre de manger vu que j'fais de l'argent sur votre dos'. 

Je remplace actuellement la travailleuse sociale de *liaison*. C'est à dire que je suis la pour les gens hospitalisés qui viennent d'autres villages. J'avais envie de vous parler des droits parce que je trouve parfois que la défense des droits est occultée et, ici autant qu'ailleurs, elle devrait prendre de l'importance car il arrive par exemple que dans le contexte médical, les droits les plus élémentaires comme le consentement aux soins soit totalement bafoué. Saviez-vous que vous avez le droit de refuser des soins jusqu'à ce que vous représentiez un danger pour vous ou pour les autres. Il y a une loi au Québec qui s’appelle la P-38. Cette loi d'exception dit en gros que si tu représentes un danger grave et imminent contre toi-même et contre autrui, on peut t'hospitaliser, te mettre en garde préventive contre ton gré pour un maximum de 72 heures. Or, il arrive au Nord que la notion de danger est surestimée ou mal évaluée et les gens sur-utilisent cette option alors qu'elle ne devrait même pas être envisagée. On agit alors de façon paternaliste et on hospitalise quelqu'un contre son gré alors que la loi ne nous le permet pas. Il n'y a souvent malheureusement pas de conséquences à ces actions qui sont rares je vous rassure parce qu'on a voulu faire 'pour le bien' et que dans les 'petits villages c'est difficile à gérer' donc aussi bien faire venir l'avion et les faire hospitaliser. Il n'en demeure pas moins que ce n'est pas une pratique légale et qu'humainement, elle est plus que discutable.

utopie?
Les inuits qui sont des gens rarement éduqués ne protestent pas plus qu'il faut car ils ne sont pas informés sur leurs droits. Une population ignorante a du bon, elle est plus facile à contrôler. C'est cynique mais, c'est ça pareil. Donc, oui parfois il importe de dire à une personne que le traitement qu'elle a reçu n'était pas approprié et oui, je vais l'informer de ses droits de porter plainte contre une infirmière, contre le centre hospitalier s'il le faut et non, je ne vais pas me sentir mal car je suis d'abord une travailleuse sociale et une des valeurs de ma profession est justement la défense des droits des personnes Voila, c'est dit.

Dans un autre ordre d'idée, saviez-vous que nous avons deux refuges pour femmes battues sur notre côte (pour 7 villages) et les deux sont inutilisables en ce moment. Donc, il n'y a pas de refuge pour les femmes pour les gens de la côte de la baie d'Hudson. Nous pourrons envoyer les femmes à Kuujjuaq mais seulement en cas d'extrême nécessité. C'est la joie pour les travailleurs sociaux *sarcasme*.  Souhaitons que cette situation sera temporaire. J'ai vu une femme à la COOP avec un œil au beurre noir gigantesque. Elle faisait ses emplettes comme si de rien n'était et je sais qu'elle a porté plainte contre son conjoint. J'en avais aussi vu au sud des femmes avec des marques comme ça mais, elles étaient à l'abri, dans les refuges ou j'ai travaillé. Celle ci a porté plainte mais pour les autres qui ne portent pas plainte et qui restent avec celui qui les violente, il y a une option de moins actuellement. La violence entre partenaires va toujours en augmentant et finit parfois par la mort de la femme...Les droits de la personne incluent le droit à la sûreté. Ici, les droits de la personne sont bafoués de différentes manières. Ce n'est pas pour rien qu'Amnistie Internationale blâme le Canada pour la violation systématique des droits des peuples autochtones. Ça s'illustre par plusieurs exemples.

Parlons festivités et thématique moins lourde! Ce sera le festival des neiges bientôt à Puvirnituq, évènement culturel et social de grande importance... à suivre!
Atsunai!

mercredi 11 février 2015

Le nord au sud et takutsugusuppuq (amour)

Ai!
Je serai de retour au Nord sous peu mais pour le moment j'évalue des inuits placés dans des familles à Montréal sous le programme d'un centre qui dispense des services spécialisés pour les enfants ou adultes présentant une déficience intellectuelle ou de l'autisme...Pourquoi? L'absence de ressource aidant ces inuits ne pouvaient plus rester au Nord. Ils ont donc à un moment donné de leur vie été orientés vers Montréal pour y vivre, loin de tout ce qui constituait leur monde et on avait un peu perdu leur trace. Pour certains ça va, pour d'autres c'est difficile. Il s'agit pour la plupart de ceux que j'ai vu de cas lourds, de grands poqués de la vie. Des gens rescapés d'un accident par notre système de santé qui a laissé de lourdes séquelles et d'autres avec des déficiences intellectuelles importantes. Encore une fois, on a des beaux exemples que l'amélioration des soins de santé au Nord n'est pas toujours ce qui rime le plus avec qualité de vie ensuite. Est ce que les médecins en voulant sauver à tout prix s'interrogent toujours sur ce serment qui dis ; 'Ne pas nuire' parfois je n'en suis pas sure. Pour quelques uns de ces gens rencontrés, j'ai du être avec un intervenant homme car ils étaient à risque de m'agresser sexuellement ou physiquement. Il ne faut pas oublier qu'il y a une partie des agresseurs qui sont des gens comme ceux la, des gens n'ayant pas les capacités de se contrôler ou de savoir ce qui est bien et mal.

La régie du Nunavik veut donc réviser leurs 'dossiers' dans un contexte d'austérité pour avoir un portrait plus global de leur situation et voir si les services rendus et facturés par ces établissements sont bien nécessaires. Depuis peu également, la facturation inter-établissement ne sera plus permise par notre gouvernement donc il y a ça aussi qui peut avoir un lien. Mes évaluations ne sont pas terminées mais à date, j'ai rencontré des gens très dévoués dans ces ressources et je doute qu'il y ait des coupures à y faire...Les gens qui y sont hébergés reçoivent également des services de professionnels très compétents.  Je ne suis pas comptable mais je serais prête à parier sur le fait que ces gens placés dans des ressources intermédiaire de type familial coûtent pas mal moins cher à l'État que ceux placés dans des institutions tout en ayant une meilleure qualité de vie. De façon intéressante, les gens qui sont responsables et vivent parfois dans ces ressources proviennent souvent d'autres pays. Pourquoi? Je n'en ai aucune idée mais il se peut que dans certaines cultures l'aspect 'vivre en communauté' soit davantage valorisé ou normal que pour les Québécois de souche? Je ne sais pas.

J'avais envie de vous parler d'un thème intéressant soit les relations de couple d'hier et d'aujourd'hui chez les inuits. La perspective historique nous rappellera encore qu'il s'agit d'une culture assez différente de la nôtre et vous allez voir pourquoi dans ce que je vais écrire... Il faut savoir que je vais beaucoup généraliser mais qu'il y avait des différences entre les différentes communauté et les inuits du Nunavik et du Nunavut...

Il n'a pas toujours été question de monogamie exclusive chez les inuits. Les échange de conjoints étaient présents mais en général la femme n'avait pas son mot à dire (sommes-nous surpris?). Donc si l'ami de ton mari voulait coucher avec toi et que ton mari était d'accord bien pas question de dire non. Parfois, si ton homme partait à la chasse plusieurs semaines et que toi tu restais à l'igloo t'occuper des enfants, il pouvait apporter une autre femme avec lui. Je ne sais pas si ça faisait la joie de tous mais c'était pour aider l'homme lors de sa chasse et aussi pour l'empêcher de commettre des actes de zoophilie ce qui était considéré très grave. Selon certains aînés, les gens à l'époque aimaient ces pratiques et les femmes aussi parfois car elles pouvaient ainsi avoir des relations avec d'autres hommes. Les femmes devenaient disponibles lorsque menstruées et on leur tatouait des dessins sur le corps/visage pour mieux indiquer leur disponibilité. Elles acquéraient aussi le droit de porter l'amauti (manteau traditionnel féminin pouvant accueillir des enfants).
tatouages faciaux sur une dame Inuit
Ce manteau est encore porté de nos jours. Le désir des femmes d'avoir ou ne pas avoir de relations sexuelles n'était pas toujours respecté bien évidemment mais on ne voyait pas ça comme un viol parce qu'elles devaient se soumettre c'est tout. Ce sont des pratiques qui avaient encore lieu il y a une centaine d'années donc il n'y a pas si longtemps historiquement parlant.

L'homosexualité était bien sur fortement condamnée et actuellement c'est encore largement condamné par la majorité des inuits. L'inceste était également fortement prohibé. La pire des déviances possible pour les inuits était la bestialité, avec un chien, un caribou ou un phoque. Pour 'guérir' de leur faute ces personnes devaient en parler.  Souvent également les mariages étaient arrangés par les parents et ce parfois même avant ou dès ta naissance. Donc t'avais pas vraiment le choix de te marier avec la personne qu'ils avaient choisis pour toi et tu devais apprendre à l'aimer. Un collègue inuit m'a également déjà dit que la tradition voulait que l'homme kidnappe la femme (l'attrape par son manteau) et l'amène pour ect... et après ils étaient considérés comme 'ensemble'. C'est pas mal romantique, hein?

Actuellement, puisque la colonisation a été faite par les chrétiens les inuits sont officiellement monogames mais officieusement c'est pas toujours le cas... Quoiqu'on pourrait dire cela pour des gens d'ici également! La jalousie est un problème très présent au Nord. Les inuits femmes et hommes sont souvent très jaloux et parfois n'ont même pas de raisons de l'être. Je me souviens de cette intervenante blanche de la DPJ qui avait été agressée par une femme inuit car elle échangeait des messages facebook amicaux avec le mari de la dame... La dame était entrée dans le CLSC un bon matin et s'était mise à battre l'intervenante. Il convient en tant que femme et en tant que personne blanche travaillant au Nord en général d'être au courant de cette réalité sensible pour plusieurs. Certaines personnes n'en font pas de cas comme ce policier blanc qui s'était mis à sortir avec une inuit, le copain n'a pas apprécié a voulu se battre et hop il se retrouve bien sur en prison pour voie de fait. Il faut être conscient de l'impact de nos actions au sein de la communauté mais certains s'en soucient peu. Il m'est arrivé aussi par le passé et à des collègues que des inuits nous offrent leurs 'services' tout simplement. De ce que j'ai pu observer, c'est davantage les hommes blancs qui se font approcher par les femmes. Il faut dire que l'attrait de la nouveauté, la possibilité que l'homme blanc ne soit pas violent est attrayante pour les femmes inuits. Parfois, elles idéalisent beaucoup l'homme blanc qui se retrouve à l'occasion être aussi violent que l'homme inuit malheureusement mais il y a aussi des belles histoires. Imaginez-vous que votre 'pool de cruise' sont les mêmes 400 personnes tout au long de votre vie et vous comprendrez l'attrait que les étrangers peuvent exercer chez les inuits. C'est tout! Si ça vous intéresse d'en savoir davantage, il faut lire ceci;

Atsunai!